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Jour 223 - Mbebess, décharge de Dakar

Vendredi 10 mai 2013 - 0 kms - Post n° 223


Fanch : Dur… 4h30, je sors du lit et c'est le palais encore engourdit que j'engloutis le reste de salade de fruit mangue/banane que j'avais préparé la veille sans en apprécier sa juste saveur. Petite nuit donc, qui se termine le postérieur sur une banquette de taxi roulant en direction de l'aéroport. C'est l'heure des aux revoir dans l'univers presque stérile de l'aérogare dakarois ou l’acoustique vaporeuse du hall d'embarquement ne fait qu'accentuer cette sensation de sommeil. Enfin bref, c'est lé cœur serré que j'embrasse une dernière fois Monsieur et Madame Dodeur. Papa, Maman, merci d'être venu… Vous avez assuré!

Bon, j'ai un trou dans mon planning, j'en profite pour errer, enregistreur en main dans notre nouveau quartier avant de rejoindre Barth à l'auberge. C'est l'aube, Dakar émerge en douceur de son demi sommeil. Tout les piafs du coins semblent avoir passé la nuit dans l'arbre d'à côté et chantent à tue tête, derrière, les vieux psalmodient à l'unisson les textes sacrés encourageant le soleil levant. Je bois un café touba (café et poivre de guinée) assis sur un banc discutant avec deux inconnu. Il est 6h30 à Dakar, contrairement à ma salade de fruit, je savoure pleinement cet instant.

4 Heures plus tard, Je suis dans une de ces carcasses roulantes un car rapide qui se dirige vers Mbebess en compagnie de Daouda, employé de Ker Thiossane. Mbebess, c'est l'unique décharge de Dakar et de sa banlieue je n'arrive pas vraiment à imaginer ce qui m'attends. Le trajet en soi, malgré sa durée (2 heure) n'a rien de monotone, je découvre Dakar sous un autre angle. Dans la banlieue de la banlieue, la vie ne s'estompe pas, elle semble interminable, infinie.

Enfin nous voici arrivés. Mbebess. Nous empreintons une large allée de terre qui nous mène au cœur de la décharge. Petit à petit je m'étonne devant l'ampleur et l'étendu du lieu. Les talus qui bordent le chemin se couvrent de plus en plus de déchets, jusqu'au moment ou la terre disparaît laissant place à un revêtement croustillant, à chaque pas, verre, métal et plastique craque sous nos semelle. Ponctuellement et de chaque coté du passage, quelques cabanes de taules et de bâches apparaissent. L'odeur irritante de combustion de caoutchouc agresse mes yeux, je m'enroule méticuleusement la tête dans mon turban pour limiter le contacte avec la fumée noir. Dans ce brouillard acide apparaît un bosquet sans vie qui se coiffe d'un feuillage de plastique noir, j'ignore si c'est volontaire ou non, mais le résultat résume à merveille l'atmosphère du lieu… Vision apocalyptique de l'humanité dépassé par sa production de déchets.

Nous sommes maintenant sur le point dominant de ce terre poubelle qui s'étend sur plusieurs hectares. Les camions poubelles vont et viennent exécutant de la sorte un balais sans fin qui dure depuis 60 ans. Leurs destinations finales est le cœur de Mbebess, le carrefours centrale, une vaste place ou une centaine d'hommes de femmes et d'enfant évoluent les pieds dans la merde. Et les camions poubelle n'arrêtent pas leurs manœuvres, quand enfin ils pénètrent sur le champs de bataille et qu'ils déversent leurs marchandise nauséabonde, alors, plusieurs dizaines de personnes accourent pour tenter de dégoter en premier la bonne affaire qui tombe presque du ciel… À tel point que certains sont parfois submergés par les ordures. Ah oui, on est pas à l'île de Gorée, loin du quartier des ambassades ou de la corniche bordé de grands hôtel et de palmiers… C'est sur.

On pourrait penser que Mbebess est le dernier maillon de la chaîne production-consommation… Poubelle, mais derrière ce triste spectacle c'est un monde organisé, un business et une association parfaitement structurée. Tout est récupéré, absolument tout, des familles vivent ici et la décharge est leurs gagne pain. La bouffe pour les bêtes quand elle n'est plus consommable pour l'humain, tel type de plastique va à droite, l'autre à gauche, les boîtes métalliques ici, la taule là bas, les bouteilles en verre sont stockées ici en attendant d'être rachetées par un industriel, l'électronique (c'est ce qui m'intéresse) est mis de côté un peu plus loin et est destiné à répartir de cette morgue d'ici peu, il sera vendu au kilo.

J'éprouve quelques difficultés à me forger un avis au sujet de Mbebess. Le recyclage certes est une bonne chose et je prône pour plusieurs raisons ce type de pratique, mais reste désemparé face aux conditions extrêmes dans lesquelles d'autres vivent et travaillent. A méditer.


Barth : Fanch m'attend sur la terrasse de l'auberge à mon réveil.. Vu mon état de fatigue et les nombreuses choses que je n'ai pas pu faire la veille, je décide de le laisser aller seul à la grande décharge de Dakar pour récupérer du matériel en vue du petit workshop à Ker Thiossane la semaine prochaine. Le site se trouve à une heure et demie de route, je n'ai pas le courage de passer la journée là-bas, et je tiens vraiment à boucler enfin le montage du checkpoint qui n'a que trop duré.

Je reste donc à l'auberge toute la journée, à travailler. Une pause déjeuner en compagnie de Camille, de Lucas et de son pote Axel venu le voir , et c'est reparti. En fin d'après-midi, Fanch arrive au moment ou je lance le calcul final du checkpoint ! Mais pas le temps de souffler, il faut enchaîner, ce soir nous allons assister à une projection de cinéma en plein air organisée par l'association Cinéma Numérique Ambulant. L'évènement se passe dans une petite ruelle à deux pas du port de pêche. L'écran est tendu en travers de la rue, des chaises en plastique sont disposés là et déjà une ribambelle de gamins trépigne d'impatience sur la natte posée au pied de l'ecran. Petit problème, à 20 mètre derrière a lieu la cérémonie d'un baptême… Ce qui veut dire une équipe de griots chargée de faire danser la famille à grand coup de percussions ! Qu'importe, il suffit de monter le son..!

Quelques Buster Keaton pour chauffer l'ambiance et au bout d'une longue attente, la projection du film « Suivre la marée » de Thomas S. Marier démarre enfin, sur fond de percussions endiablées. Il s'agit d'un documentaire sur le quotidien des pêcheurs sénégalais, tourné à bord d'une pirogue pendant une semaine en mer. Le film est formidable, la bande son avait l'air bien aussi mais mes oreilles commencent à siffler après quelques heures d'exposition à un tel vacarme. Les pêcheurs sont présents autour de Thomas le réalisateur, ce qui donne lieu à une petite conférence/débat sur toutes les questions liées à la pêche… Un chouette moment donc mais décidément trop insupportable acoustiquement parlant, ma tête va exploser, il est temps de rentrer au calme et de manger en regardant le checkpoint fraîchement calculé… Et hop, au lit !

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