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Jour 190 - Route du marché 5ème

Dimanche 7 avril 2013 - 0 kms - Post n° 190


Barth : Le dimanche à Nouakchott, c'est comme un lundi en France, tout redémarre après le week-end ! La rue de l'auberge est alors envahie par des dizaines de jeunes issus de familles aisées qui fréquentent les cours des différentes écoles privées qui se trouvent là. Nous sommes dans le quartier riche de Nouakchott, où il n'est pas rare de voir un embouteillage de grosses voitures de luxe conduites par des maures en boubou bleus. La caste des maures est elle-même divisée en deux sous-castes, les maures blancs et les maures noirs. Le café tunisien que nous fréquentons depuis que la connexion de l'auberge ne fonctionne plus semble être le lieu de rendez-vous des intellectuels maures… Chicha à la bouche, ordinateur portable devant les yeux, parfois accompagné de quelques livres, discussions animées en groupe en buvant des cappuccinos, les maures sont fiers, tellement qu'il est parfois difficile de faire la part des choses entre le véritable intellectualisme et une forme de frime sociale qui fait partie de leur culture… Ces maures-là sont un peu les bobos mauritaniens.

A l'autre bout de la chaîne, se trouvent les travailleurs noirs, sénégalais, malien, ivoiriens, guinéens, qui assurent tous les petits métiers. Serveurs, marchands ambulants, coursiers, gardiens, femmes de ménage, tous sont issus de l'Afrique noire et sont aux services de la caste au pouvoir. Cette mixité culturelle semble se dérouler dans une relative harmonie, un ordre des choses qui ne peut être remis en cause et qui abrite en son sein les restes d'une domination centenaire entre les peuples du nord et ceux du sud. La forme la plus extrême de cette domination est encore visible dans la vie privée où il n'est pas rare de trouver des esclaves noirs dans les maisons des riches maures…

Malgré ça, la liberté d'expression, le débat d'idées semblent plus accessibles ici qu'au Maroc. Nouakchott est une ville immense, qui grignote le désert comme une champignonnière depuis seulement un demi siècle, alimentée par la rencontre entre tous ces peuples d'Afrique. Ici tout semble possible, pensable, imaginable. La modernité de l'occident rencontre de plein fouet les racines culturelles des ethnies nomades, et l'embargo sécuritaire qui a anéanti le tourisme des Toubabs donne pour le moment une certaine forme d'authenticité au tableau. Charnière entre le Maghreb et l'Afrique noire, ce qui se passe en Mauritanie se joue entre africains, sans la présence parfois dénaturante des foules touristiques venues d'autres monde.

Cet après-midi nous suivons Mathieu qui veut nous présenter un griot sénégalais, et éventuellement nois faire assister à un tour de thé, une réunion entre femmes qui se cotisent pour payer les services des musiciens et s'éclater un peu en dansant quelques heures, jusqu'à la transe… Le taxi nous conduit à plusieurs kilomètres de l'auberge dans le quartier dit « cinquième » où nous retrouvons Pape, le dit griot, et plusieurs de ses musiciens qui commencent à se regrouper en vue des programmes du jour. Pape a une trentaine d'années, marié avec un enfant, et il est fils et petit fils de griot… Le temps de faire connaissance, de boire le thé et nous voilà partis. Nous arrivons dans la cour d'une grande maison où quelques femmes sont déjà là, habillées de leur plus belles tenues aux couleurs éclatantes et scintillantes, et pour la plupart avec un enfant en bas âge accroché dans le dos. Nous ne restons pas, il vient d'y avoir un décès dans la famille, un pêcheur mort en mer, le tour de thé est donc naturellement annulé… Pape nous entraîne alors à la sortie de Nouakchott pour rejoindre l'autre partie du groupe qui est en train d'animer un tournois de lutte sénégalaise. Le site est fermé par une palissade en toile et nous avons quelques difficulté à rentrer face à un service d'ordre incohérent et émoustillé par la vue de mon appareil photo. Je range donc le matériel et nous prenons place juste derrière les musiciens pour assister au tournois… En fait nous ne verrons pas de combat, le froid et la faim nous font décamper au bout de trois heures de danses et de rituels autour des cinq ou six champions qui s'affronteront. Sur notre gauche la tribune VIP où siègent des femmes toutes peinturlurées de maquillage et aux robes dorées ou argentée, qui font pleuvoir les billets sur les musiciens et danseurs. Ce sont les marraines nous confie Pape. L'arène de sable comme les champions sont arrosés d'eau et de lait bénis par le marabout de chaque équipe. Les paris vont bon train. Religion, sport, argent, musique et danse se mélangent devant un public de plusieurs centaines de supporters… Nous avons vu un autre visage de Nouakchott ce soir, celui de la communauté sénégalaise qui occupe le quartier « cinquième » sans eau courante ni égouts…

Le retour de nuit prend beaucoup de temps. Notre taxi manque de foncer sur deux policiers à un barrage qui ne manquent pas de lui soutirer 2000 ouguyas… Sur une course à 300, ce n'est pas très rentable, mais notre chauffeur s'en sort bien, la police a pour habitude de rafler tous les étrangers en situation irrégulière… Nous finissons par rejoindre l'auberge pour un dîner très attendu et une bonne nuit de repos !


Fanch : Quartiers 5ème et 6ème, nous voilà plongé au cœur d'un autre Nouakchott, submergée par les sables. Ici, le goudron n'existe et n'a jamais existé. Nous sommes dans un taxi clandestin via lequel nous parcourons les pistes chaotiques des banlieues de la capitale en compagnie de Mathieu (un français habitué de Nouakchott) et de Pape, griot (percussionniste traditionnel) sénégalais. Le 5ème, nous donne un aperçu de l'Afrique sub-saharienne, ici plus de Maures et encore moins d'européen, les populations viennent du sud, en majorité originaires du Sénégal. La vie semble différente, paff, d'un coup, les rues s’animent, les mômes cours de leurs pieds nus après le ballon rond, les chèvres se ballade de poubelles en tas d'ordure. Les femmes aussi se dévoile, certaines montre même leurs épaules et malgré une apparente pauvretés, l'atmosphère semble plus décontractée ici qu'au centre ville. Le dépaysement opère.

Nous nous laissons porter par le programme de Pape qui nous transporte au cœur le la culture populaire sénégalaise.

Quartier 6ème, nous voilà arrivés, la rythmique asymétrique des percussions, après avoirs percutée les façades des bâtiments qui nous encerclent résonnent jusqu’à nos oreilles. Nous pénétrons sans encombres particulières dans l'enceinte du combat dont le périmètre est entièrement rendu opaque par de nombreuse bâches blanche et poussiéreuses. Pape rejoint ses frères griots, nous nous installons auprès d'eux et sommes vraisemblablement les bienvenus. L'arène se remplie peu à peu, les pompoms girles arrive en jean et t-shirt tandis que les marainnes de l'évènement vêtues de leurs plus beaux apparats s'installent non loin de nous. Puis les lutteurs font leurs entrés dans une ambiance aussi festive que chaotique. De francs pas de danse accompagnent d'obscures rituels que je ne peux qu'observer sans comprendre de quoi il s'agit. Je sais simplement, à en jauger la quantité de grigris et les litres potions bénites déversés sur le sable, que derrière ce combat de lutteurs se cache aussi celui des marabouts. Les superstitieuseries n'en finissent pas, c'est un véritable show désorganisés qui s'anime au son décousus des griots et de la voix distordu de l'animateur expulsée par une trop veilles enceintes. La tension monte lentement. Il est déjà tard quand les chorégraphies des joueurs et de leur staff débutent.

Je ris à la vue de ce spectacle spontané, naturel et anarchique, mais aussi devant mon incapacité à piger les codes et modes de communication mise en place entre danseurs et griots. Ça s'éternise, il fait nuit depuis déjà longtemps, 4 heures après notre arrivée, nous décidons de rentrer sans avoir vu les lutteurs en action. Parait -il que la duré totale des combats n’excède pas les 10 minutes ce qui, quand on y pense justifie amplement cette interminable et extravagante mise en scène.

Mathieu et Pape

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