Inde (ouest)
Distance parcourue : 535 kms
Durée : 72 jours
Date d'entrée : 2014-12-27
Date de sortie : 2015-03-08
Jour 741 - Prolongations dans les cimes
Mercredi 7 janvier 2015 - 0 kms - Post n° 551
Barth : Les vacances de Geocyclab se prolongent un peu en Inde finalement, et même si le carnet de bord n'est pas officiellement relancé, voici quelques nouvelles de notre atelier en pause, avec comme toujours de nombreuses photos pour compenser le peu de mots..
Je ne m'étendrai pas sur la visite d'Agra, du Red Fort et particulièrement du Taj Mahal, qui en cette période de vacances étaient saturés de touristes principalement indiens. Une fois de plus l'industrie du tourisme a pris toute la place au détriment de la beauté et de la dimension mythique de ce lieu, on ne m'y reprendra pas. Ces retrouvailles avec l'Inde étaient un peu brutales et nous avons tous opté pour un retour au calme de la montagne, en nous réfugiant quelques jours dans un petit village enneigé au fin fond de l'Himachal Pradesh. Une guesthouse vide, sans eau chaude mais avec vue sur la vallée, et un restau végétarien à quelques minutes de marches dans la bouse de vache gelée, on en demandait pas plus pour une nouvelle fois oublier le temps et tourner la page de 2014 sous un glacial ciel étoilé. (Pour l'eau chaude, nous avons heureusement pu profiter de la source chaude qui se trouvait au centre du village..!)
Depuis avant-hier nous sommes redescendus dans la vallée, pour une escale à Mandi d'où Navin vient de nous quitter pour attraper son avion à Delhi demain. La présence de notre ami qui comprend et parle un peu l'indi, nous a beaucoup facilité les choses dans l'organisation de ce périple, il va nous manquer !
Nous avons quelques nouvelles de nos vélos, qui sont toujours sagement entreposés à Lucknow. Mais notre hébergeur nous a fait savoir que des coush-surfeurs sont en ce moment chez lui, l'excuse parfaite que nous attendions pour prolonger de quelques jours les vacances de Geocyclab, et rejoindre Rishikesh, la capitale du yoga demain dans la journée…
Et pour finir, une petite série de « vues du train » !..
Jour 752 - Reconnexion progressive
Dimanche 18 janvier 2015 - 0 kms - Post n° 552
Fanch : Nous hésitions devant le peu d'options pour finalement monter dans un bus gouvernemental pour quatorze heures de route nocturne et glaciale, quatorze heures qui nous mènent jusque Haridwar, puis enfin Rishikesh, capitale mondiale du yoga. Le trajet n'a pas été partie de plaisir mais nous voilà au bord du Gange, là où il est encore bleu et propre, non loin de sa source à la lisière de l'Himalaya. Navin s'en est retourné dans sa Malaisie natale mais Roxana nous fait l'honneur de sa présence pour encore une semaine.
Nous logeons dans une petite auberge sur la rive est du fleuve, à Lakshman Jhula, une zone située à l'écart de la ville et de ses klaxons, réputée pour ses centres de méditation et parfaite pour la concentration. L'air est redevenu doux quoiqu'un peu frisquet quand le soleil ne parvient pas à percer les nuages mais l'atmosphère générale se révèle propice à la reprise du travail… En douceur s'il vous plaît. Carte de veux, écriture, objets du jour, emails, prises de contacts… Entre deux ballades, nous remettons la machine en marche.
Depuis une quinzaine de jours ma tablette ne s'allume pas, je profite de cette reprise pour fouiller les ruelles de Rishikesh à la recherche d'un bidouilleur-réparateur. Après trois échecs chez divers services Samsung, je tente le tout pour le tout dans un petit atelier, discret et sans prétention. Après un moment de suspense, on y est, l'écran s'allume de nouveau… La batterie a probablement mal réagit aux changements de température. L'autre bonne nouvelle, c'est que Navin a remis la main sur notre GPS qui avait mystérieusement disparu dans les méandres de Biji-Biji, il ne nous reste plus qu'à trouver une adresse de livraison quelque part en Inde.
Déjà, il est temps de plier bagages. Nous sommes à Haridwar, 50 bornes plus au Sud. Roxana est sur le point de prendre le train pour l'extrême ouest du pays, c'est donc l'heure des aux-revoir (nous la recroiserons probablement au Rajasthan). Il nous reste une petite journée pour profiter du Gange, où nous tournons le 76ième haïku, puis c'est à notre tour d'enjamber les marches du wagon. Demain matin nous retrouverons nos bécanes et notre matériel qui nous attendent à Lucknow depuis deux mois maintenant.
La suite du programme n'est pas encore définie, on vous en reparle dans le prochain article…
Jour 758 - Lucknow
Samedi 24 janvier 2015 - 0 kms - Post n° 553
Barth : Nous avions convenu avec Biren que nous passerions quelques jours chez lui à notre retour à Lucknow pour faire plus amples connaissances avec ce providentiel « couchsurfer » qui a accepté de garder nos vélos et nos affaires pendant plus de deux mois. Une des toutes premières conversations que nous avons eu avec lui fut justement à propos de la confiance que nous lui avons faite en lui laissant tout ce que nous avons sans en savoir plus sur lui. C'est là qu'on mesure l'intérêt des réseaux du type Couchsurfing !
Nous sommes vraiment bien tombés, sur une perle rare je pourrais dire ! Car en plus de nous avoir rendu cet immense service, Biren s'est mis en tête de nous faire goûter les délices de Lucknow sans que nous n'ayons un centime à débourser. Nous voilà donc hébergés comme des princes, avec chauffeur pour les visites et courses que nous avons à faire, et cuisinière pour combler nos appétits. Kebabs à la meilleure adresse de la ville, soufflé de lait à tous les desserts, apéritifs bavards le soir dans l'immense salon musée de la maison et petits-déjeuner aux premiers rayons sur la terrasse envahie par les oiseaux et les écureuils, de quoi pourrait-on se plaindre ?
Après avoir longtemps travaillé dans des hôtels autour de Goa, Biren vit seul dans sa grande demeure pleine de souvenirs de famille et de tableaux qu'il pour la plupart peint lui-même. Il mène une vie bien réglée, entouré de son charmant personnel de maison, et il ne semble pas avoir de plus grand plaisir que celui de partager généreusement ce mode de vie, en recevant les couchsurfers qui se bousculent sur sa boîte mail. Nous avons entrevu grâce à lui une autre facette de l'Inde que celle qui nous saute aux yeux le long des routes, comme à l'occasion de cette mémorable soirée de dégustation d'un « bhang lassi » qui nous a entraîné dans des discussions sur le karma et la réincarnation !
Il nous aura fallu une petite semaine pour faire comprendre à Biren que bien que ce délicieux séjour nous enchante, les objectifs de notre voyage ne sont pas aussi épicuriens et notre projet ne nous permet pas de prolonger d'avantage les vacances cette fois-ci. Alors comme promis cher ami, nous reviendrons, sans vélos et sans boulot !
Fanch : Parlons boulot un peu. Entre les différentes visites ou dégustations que notre hôte organise en notre honneur, et parce que la connexion internet le permet, Barth s'est attaqué à la synchronisation du site. Un gros morceau puisqu'elle n'avait pas été faite depuis novembre 2014. Comme d'habitude ceci implique la mise à jour des articles, des objets du jour (et de toute les informations qui leurs sont associées) et des derniers Haïkus. Mon compère s'est aussi penché sur l'édition des images d'Aquaphonics, l'installation pour laquelle nous sommes retournés en Malaisie et que vous avez à l'heure d'aujourd'hui probablement déjà découvert.
D'autres interrogations sont à résoudre rapidement. Avec entre autres celle du renouvellement des assurances qui, en témoigne l'épisode de la dengue, peuvent s'avérer très utiles même s'il nous faut comme à chaque fois ouvrir grand le portefeuille (Aïe). Ensuite, c'est bien sûr l'itinéraire qui pose question. Les événements qui ont secoué la France début janvier et dont l'onde de choc se propage jusqu'ici mettent en péril, pour ne pas dire un terme, la traversée du Pakistan (trop peu d'informations à jour sur les véritables risques + casse-tête administratif + grosses dépenses). L'Iran est aussi sur le point de disparaître de notre route, le coût des billets d'avion additionné à celui des visas (pour seulement 15 jours) nous pousse à envisager d'autres destinations comme la Géorgie ou encore l'Ukraine. En attendant, nous sommes toujours en Inde avec le sentiment d'être un peu « coincés ».
Concernant les « Objets Libre ». Nous avions contacté quelques organisations dont nous attendons toujours les retours… C'en est presque frustrant. L'Inde est pleine d'initiatives susceptibles d'alimenter nos recherches mais soit les contacts ne prennent pas, soit la géographie du pays et surtout les distances nous empêche d'y accéder.
Pour le moment, nous préparons nos sacoches pour monter demain dans le Marudhar Express qui nous devrait nous expédier de Lucknow à Jaipur en une douzaine d'heures. De là, nous devrions chevaucher nos bécanes et parcourir les routes du Rajasthan en espérant que les rencontres qui nous y attendent remettront l'atelier de Geocyclab sur la voix du libre, de la découverte et du partage.
Jour 762 - Jaipur
Mercredi 28 janvier 2015 - 0 kms - Post n° 554
Fanch : Nous arrivons au Rajasthan par la grande porte… Celle de la gare ferroviaire de la capitale. Jaipur nous voilà, nous et tout notre attirail. Tout, excepté nos bécanes que les agents de la station ont oubliés dans le wagon cargo… Devant le guichet des entrepôts, un sourire se fige sur mon visage comme un long « Pleeeeeease, faites quelque chose pour ne pas qu'ils se perdent trop profond dans ce réseau chaotique de la India Railway ». Bref, arriver par la gare d'une ville - touristique - avec 80 kilos de matos à porter à bout de bras c'est assurément se confronter à la horde de chauffeurs d'auto-rickshaw qui guettent le touriste en se frottant les mains… En général on évite ce genre de situation, mais parfois…
Jaipur avec son histoire et son lot d'attractions culturelles est une étape du Lonely Planet India. En attendant les vélos nous avons du temps à tuer alors décidons de suivre la voie indiquée par les guides pour routards et partons nous perdre dans les ruelles du vieux centre. Au premier coup d’œil, nous sommes toujours dans une grande ville indienne, klaxons à gogo, odeurs par dizaines, poussières, vaches et porcs aux milieux des ordures, vendeurs de chais et de bidies… Mais ici les regards éclaircissent, les peaux se teintent, les turbans, bijoux et pierres précieuses se multiplient comme pour rappeler que le Rajasthan fut un pays de rois. Les palais, temples et châteaux témoignent aussi de ce passé mais l'ambiance de ces sites devenus parcs d'attractions nous rebute de plus en plus et nous n'en faisons pas une priorité.
Entre temps, les recherches de contacts et d'un itinéraire suivent leur cours mais pour l'instant rien de neuf. Nous sommes un peu perturbés par la période de flottement que nous traversons actuellement, il y a pourtant toujours du pain sur la planche, mais il n'est parfois pas évident de déployer l'énergie nécessaire à l'avancée des travaux. En revanche, qu'il s'agisse d'installations in situ ou concernant la restitution du projet, cette période creuse est aussi l'occasion de développer oralement et sur papier les nombreuses idées que cet atelier mobile a généré jusqu'ici. Conclusion, ça n'en a pas l'air, mais quelque part, enfoui dans la matière grise de Geocyclab, ça bouillonne.
J'avais presque oublié de le préciser, nous avons bien récupéré nos vélos, 24 heures après notre arrivée à Jaipur… Comme quoi, ils n'ont pas traîné à revenir à leurs propriétaires et nos sacoches ont enfin retrouvé leurs supports respectifs. Les montures sont lestées et nous sommes prêts à découvrir ce que la route du désert nous réserve. La suite au prochain épisode…
Jour 765 - Arrivée à Pushkar
Samedi 31 janvier 2015 - 60 kms - Post n° 555
Barth : Jeudi 29 janvier, le rythme de patachons que nous avons pris durant les vacances et entretenu chez notre ami Biren à Lucknow rend difficile le réveil matinal. Mais cette fois nous sommes debout juste à temps pour lever le camp avant midi et reprendre enfin la route ! Et c'est bon de retrouver le bitume, de sentir les muscles se réveiller dans les jambes tout en assistant au spectacle inépuisable de la campagne du Rajasthan.
Fanch a mal encaissé cette première journée de pédalage, sans doute à cause d'une surdose de piment dans une des cantines que nous fréquentons, et le pauvre ne profite pas vraiment des rencontres certes intenses mais ô combien vivantes qui nous attendent à chaque virage. On adopte donc un rythme léger avec de longues pauses pour ne pas forcer. Et les deux gamins qui tiennent le restau routier où nous nous soufflons ce midi ont décidé de tirer partie de notre assoupissement en essayant seuls mon vélo chargé sans trop de difficultés !
C'est la saison des mariages en ce moment et il est impossible de trouver une chambre de libre dans les quelques guesthouses qui jalonnent la route. Le soleil est en train de tomber, le prochain village est à plus de 15 kilomètres et nous ne sommes pas sûrs d'y trouver un toit, il va donc falloir improviser… Le temps d'acheter de l'eau est un dîner frugal et nous filons sur une petite route dans l'espoir d'y trouver un endroit discret pour bivouaquer.. Quand nous sommes rattrapés par une moto conduite par un des hommes à qui je venais d'expliquer que nous allions nous débrouiller pour camper quelque part. Kalash a décidé de nous inviter à dormir chez lui, dans la ferme familiale que se partagent son père et son oncle. Nous débarquons donc quelques minutes plus tard dans la cour de la grande maison, accueillis par une ribambelle d'enfants et quelques femmes plus discrètes qui font apparaître un tchai, puis deux, puis une bassine de braises pour contrer le froid qui arrive avec la nuit, et pour finir un délicieux dîner de chapatis accompagnés de fromage blanc et d'un lassi ! Il ne reste plus qu'à nous glisser dans nos sacs de couchage sous le regard incrédule de la petite tribu et à nous étendre au côté de Kalash sur les trois lits qui ont été disposés dans la partie couverte de la cour…
Une nuit de dix heures d'un sommeil de plomb, il y avait longtemps que ça ne m'était pas arrivé ! Et le réveil à l'aube n'en est que plus doux. Un feu à déjà été allumé et comme la veille les tchais apparaissent comme par magie ! Kalash est conducteur de tracteur et il se fait un plaisir de nous faire démonstration du sound system embarqué que tous les tracteurs du Rajasthan semblent arborer. Le temps d'une séance photos et de remercier toute la famille pour cette généreuse hospitalité, et nous reprenons la route accompagnés par des gamins sur le chemin de l'école. La campagne au petit matin est splendide, de nombreux oiseaux saluent les premiers rayons de leurs chants à peine perturbés par le passage régulier de ces fameux tracteurs crachant à pleine balle les derniers tubes de Bollywood à des kilomètres à la ronde. Les nombreux villages que nous traversons sont animés par les élections du district qui se tiennent en ce moment et il n'est pas toujours aisé de fendre la foule compacte qui se presse avec ferveur près des bureaux de vote !
Plus nous filons vers l'ouest et le désert et plus nous entrons dans le territoire des gypsies, plus ou moins sédentarisés. Il est difficile de l'expliquer, mais c'est une autre énergie qui se fait sentir, plus folle, plus libre, plus impertinente, qui annonce un peu l'ambiance de Pushkar, la cité sacrée aux portes du désert où nous allons poser notre camp ce soir, et retrouver Thomas, le français que nous avions rencontré à Jaipur et à qui nous devons remettre son chargeur de portable oublié là-bas. Plus que quelques grimpettes dans la poussière et nous y serons, pour le grand soulagement de Fanch qui n'a toujours pas retrouvé la forme…
Jour 772 - Dans la fièvre de Pushkar
Samedi 7 février 2015 - 0 kms - Post n° 556
Barth : Comme des touristes en Inde, nous prenons racine dans l'ambiance survoltée de Pushkar, petite cité sacrée et touristique où Fanch a pu se refaire une santé grâce à la cuisine un peu moins locale que celle que nous croisons sur la route. Un petit hôtel pas cher et à l'écart du centre ville bruyant, quelques adresses pour se restaurer, et les petites montagnes qui surplombent la ville pour déconnecter rapidement, les conditions sont requises pour pouvoir se concentrer un peu sur l'avenir un peu flou de Geocyclab.
Car, malgré le plaisir d'avoir retrouvé le pédalage dans le décor magnifique du Rajasthan, quelque chose n'est pas comme avant. Nous n'avançons plus, nous tournons désormais en rond… La décision fut longue à prendre et nous venons finalement d'acheter nos billets d'avion, direction la Georgie dans un mois. La traversée du Pakistan et de L'Iran n'est donc plus au programme et nous avons un peu de mal pour le moment à nous réjouir de ce choix frustrant qui va fermer la page asiatique de notre voyage de manière un peu brutale. Mais la raison l'a emporté cette fois-ci. Il y a la sécurité tout d'abord, qui ne semble pas garantie au Pakistan et qui rend l'obtention d'éventuels visas un peu trop aléatoire. Il restait alors l'option de prendre un vol pour l'Iran, mais là aussi le coût et la complexité de l'obtention de visas nous a découragé, dans la mesure où en arrivant à Téhéran, la plus grosse partie du pays aurait été dans notre dos… Même si ça fait du bien d'avoir les billets en main, de savoir enfin à quelle sauce nous allons être mangés dans les mois qui viennent, je sens que ces deux immenses pays vont nous laisser une sensation de vide, de trou, de rupture spatio-culturelle, pour des raisons politiques qu'il n'est pas évident d'accepter.
Alors il nous reste un mois pour profiter de l'Inde, en pédalant un peu certainement, en restant disponibles aussi en cas de retour d'un des lieux de la culture du Libre que nous avions contacté depuis Lucknow, et en prenant le temps de remettre un peu d'ordre dans l'atelier, de trier les affaires qui ne servent plus, de nettoyer nos pauvres montures qui gardent encore la poussière Birmane collée à la moiteur malaisienne précédente.. Bref, de préparer la dernière ligne droite de notre aventure qui depuis la Georgie va nous faire traverser la Turquie d'est en ouest, jusqu'aux portes de l'Europe que nous devrions atteindre au début de l'été. La sensation est étrange de se retrouver si proches du retour. Lla pause hivernale que nous venons de faire nous a laissé le temps de mesurer un peu les deux années qui viennent de s'écouler, et de réaliser qu'il allait bientôt falloir se pencher sérieusement sur l'organisation du retour. Car si Geocyclab c'est trois ans de voyage, ce fut aussi deux ans de préparation en amont, et sans doute un ou deux ans de production au retour. Cette errance rajasthanaise tombe donc plutôt bien, pour commencer à poser les grandes lignes de cette troisième phase de Geocyclab : la restitution !
Roxana nous a rejoint pour souffler un peu aussi après une intense visite de Jaisalmer, et Pushkar va certainement nous garder quelques jours encore, tant il est vrai qu'on ne s'y plait pas trop mal, et quitte à nous glisser un peu dans la peau des backpackers qui affluent de toutes parts avec la sortie de l'hiver. La saison des mariages bas son plein, les processions n'en finissent pas de maintenir la pression dans les rues de la ville, à grands coups de « Shiva Brash Band » et de feux d'artifices. Nous avons trouvé une chose que nous avons toujours été surpris de ne pas trouver plus tôt sur notre route : l'omniprésence de la musique ! Traditionnelle, rituelle, dans les temples, dans les maisons, dans la rue, le jour comme la nuit ! La culture millénaire des gitans Kalbelias est incroyablement vivante, et la manière dont elle rencontre et s'adapte à la culture souvent urbaine et moderne des touristes venus des quatre coins du monde est un spectacle assez fascinant…
Bon, je vous laisse, il est l'heure d'aller dîner sur les bords du lac sacré, en prenant soin de ne pas marcher sur la queue d'un de ces chiens-rats diabétiques qui grouillent sur le sol graisseux de la ruelle des marchands de pâtisseries que nous devons traverser…
Jour 779 - Suite et fin...
Samedi 14 février 2015 - 30 kms - Post n° 557
Fanch : La légende raconte que les dieux lâchèrent un cygne tenant un lotus dans le bec. Il devait laisser tomber la fleur à l'endroit où le dieu Brahma devait effectuer un Yajna (rituel hindou). Le cygne a lâché le lotus au-dessus du lac de Pushkar qui depuis est devenu le principal lieu de pèlerinage pour qui vénère Brahma. Autre fait historique majeur pour les habitants de Pushkar et qui sonne comme une valeur ajoutée pour l'industrie du tourisme locale, les cendres de Gandhi auraient été dispersées dans les eaux sacrées du lac. L'atmosphère spirituelle combinée au charme vallonné et désertique des paysages environnants firent de Pushkar un point de rendez-vous populaire pour le mouvement hippie dont on peut encore sentir l'omniprésence aujourd'hui.
Pushkar est ce genre de destination indienne où tout est organisé pour dépayser le backpacker en douceur, avec un peu d'exotisme mais pas trop. Hébergements confortables, abordables et familiaux, formule « camel-safari » aux portes du désert pour le côté aventure, cours de cuisine et de musique classique indienne pour les amoureux de la culture, petit dealers de haschisch à tous les coins de rue pour ceux qui veulent oublier le temps et des dizaines de « roof top » proposant un mix de cuisine internationale, pizza-falafel-tortillas à la sauce palak paneer…
C'est dans cette ambiance que nous avons planté notre atelier pour une quinzaine de jours. Une pause culinaire pour mon estomac qui n'encaisse plus le malai (crème) et le piment des petits restaurants de bord de route. Entre les pauses déjeuner, on tente de rester actifs, d'avancer le boulot malgré une motivation qui en ce moment peine à se manifester.
Geocyclab s'essouffle, Barth en a parlé dans l'article précédent mais je ressens l'envie d'en remettre une couche en partageant mon point de vue. Et pour ce faire, je m'aventure à comparer ce voyage à un marathon, à une épreuve d'endurance (petit clin d’œil à Thomas, coureur de fond, qui malgré lui m'a soufflé la métaphore lors d'une discussion à Jaipur).
Première phase, quand on se lance et que tout est à faire, c'est l'imagination et l'excitation qui nous pousse en avant. Puis le voyage - la course - nous avale et notre concentration se porte sur le présent, sur nos coups de pédale, sur le travail à effectuer et sur les réalités concrètes liées à notre mode de vie… Petit à petit, nous prenons conscience que le rythme dans lequel nous nous sommes installé n'est pas évident à maintenir. Alors nous adaptons notre souffle pour ne pas passer outre les limites physiques et psychologiques de l'un ou de l'autre… Ce qui arrive parfois et qui induit par la suite un ralentissement de cadence ou une pause forcée.
Enfin, depuis quelques mois, nous sommes entrés dans la troisième phase du marathon, nous en sommes au moment où nous réalisons qu'il ne reste plus que 7 ou 8 kilomètres avant la ligne d'arrivée et que l'énergie et la hargne s'amenuisent progressivement. Dans cette période difficile à accepter, où bien souvent action rime avec effort, la seul chose qui nous maintient en marche est une image mentale de la ligne d'arrivée. A cet instant précis, il n'est pas évident de s'ouvrir sur le présent alors que nous sommes concentrés sur le futur… Le bon côté des choses est qu'il est sage d'appréhender le retour de manière à ce qu'il ne soit pas trop brutal, le mauvais côté est que nous ne sommes déjà plus en Inde.
Le marathon n'épargne pas notre matériel qui lui aussi commence à montrer des signes de fatigue. Mon enregistreur numérique présente quelques troubles du comportement, nous avons toujours quelques pépins avec la carte wifi de l'ordinateur, le temps et le sable s'incrustent aussi dans l'équipement de Barth. Côté vélo, nous passons trois jours à les nettoyer, à démonter les pièces les plus sensibles et à graisser le tout avant de remonter le puzzle. On espère ainsi tenir jusqu'en Georgie où nous espérons dégoter quelques pièces de rechange difficiles à se procurer en Inde. Les sacoches commencent à accuser le temps et le poids qu'elles transportent. Les coutures lâchent et la colle néoprène ne lutte plus contre la poussière. Tant qu'il ne flotte pas on devrait s'en sortir, mais… On ne restera pas éternellement dans le désert du Rajasthan et les abords de la mer noire promettent d'être humides.
Enfin voilà… Nous nous préparons pour rouler environs 300 kilomètres vers le sud qui devraient nous mener jusqu'à Udaipur. En espérant que le désert et ses occupants nous aident à faire le deuil du Pakistan et de l'Iran et nous permettent de mettre un peu d'ordre dans nos idées. La suite au prochain épisode.
Jour 783 - La route d'Udaipur
Mercredi 18 février 2015 - 85 kms - Post n° 558
Fanch : Ces cinq derniers jours de route furent plus intenses que nous ne l'aurions imaginé. Avec premièrement des contraintes climatologiques qui ne font pas dans la dentelle. Rappelons que le Rajasthan dispose d'un climat aride et donc que le soleil s'en donne à cœur joie, le vent sec fait de même mais souffle vers le nord alors que nous pédalons vers le sud. Évidemment, la poussière et le sable tourbillonnent, s'invitent un peu partout (jusque dans les chapatits) et viennent se coller à la moiteur de la sueur… Le relief -sans qui les paysages ne serait pas splendides à ce point- ne nous facilite pas la tâche. Même si le réseaux routier indien est bien entretenu et plutôt bien tracé, les collines ne nous épargnent pas et rouler sur une pente longue de 40 km avec un vent de face, sous un soleil de plombs n'a rien d'une partie de plaisir.
Le premier jour de route nous a fait sortir de Pushkar en douceur, dans un paysage majestueux, croisant troupeaux de bétail et dromadaires avant de nous mener chez Panallal qui nous accueillera pour la nuit dans la cour de la maison familiale. Nous arrivons au village de Kalesera alors que la saison des noces bât son plein et bien évidemment l'un des membres de la famille de notre hôte se marie ce soir (nous ne savons pas vraiment qui au juste)… Après avoir fait trois fois le tour du pâté de maisons et serré d'innombrables mains, nous participerons aux noces comme la quasi-totalité du village.
Les traditions ont la vie dure et le Rajasthan n'est bien sûr pas épargné… La musique acoustique qui auparavant accompagnait toute cérémonie a cédé sa place à la puissance des amplificateurs électriques. Autrefois, les percussions déambulaient dans les ruelles invitant le voisinage à se joindre aux festivités. Ce soir, un mur de son monté à l'arrière d'un pickup expulse exagérément du décibel pop bollywoodien transformant le défilé en micro techno-parade. Mais si l'on en croit l'enthousiasme général, plus c'est fort, mieux c'est, et de fil en aiguille nous comprendrons que malgré une musique qui souffre de l'arrivée de la technologie, la dance elle, reste le moyen d'expression favoris des rajasthanais. Enfin bref, il nous reste plus de 250 kilomètres avant Udaipur et ne pouvons pas dépenser toute notre énergie ici, Panallal peine à nous comprendre mais accepte de nous raccompagner jusqu'à nos sacs de couchages.
Nous quittons notre hôte et sa famille après une énième ballade dans les ruelles de Kalesera et d'interminables adieux. La chaleur est déjà pesante quand, quelques kilomètres plus loin alors que nous cherchions un petit coin pour souffler cinq minutes, l'impensable se produit. Après 11500 bornes sans une seule crevaison, la chance se retourne contre nous. Nos quatre pneus sont à plat et nous comptabiliserons pas moins d'une quinzaine de perforations… La faute à… un petit arbuste aux aiguilles acérées et quinze mètres sur une mauvaise voie, quinze crevaisons…
Le stock de rustine en à pris une claque et nous n'avons guère d'autre options que d'en fabriquer quelques une à l'aide de la chambre à air de rechange que je me trimbale depuis deux ans alors qu'elle n'est pas adaptée (je viens de m'en rendre compte, sourire jaune)… Ben oui, c'était notre première, et on vient de perdre deux heures à remettre tout en ordre. Histoire de couronner le tout, on se plante de route, il fallait prendre à gauche… Vingt bornes pour rien, j'ai pourtant constaté que le soleil était dans notre dos ! Enfin bref, il n'est pas toujours facile (même avec un GPS) de s'orienter dans ce dédale de pistes et de petites routes… La bonne nouvelle de cette mauvaise journée, c'est la rencontre et le bivouac avec Philip, un jeune cycliste allemand qui est venu se perdre dans la région pour son premier cyclovoyage. Il nous offrira quelques rustines et des petits poids crus en échange de quelques anecdotes tirées de notre longue épopée. Ce soir, nous dormirons à la belle étoile, sur le toit d'un petit temple sans être dérangé… Ce sera probablement notre meilleur bivouac indien.
Nous avons perdu pas mal de temps hier et la décision de récupérer l'axe principal fait l'unanimité. En quittant le réseau secondaire, nous quittons aussi le charme de l'isolement (tout est relatif, nous restons en Inde tout de même) et le reste du chemin se fera sur une nationale en travaux, parmi les semi-remorques chargés d'imposants blocs de marbre, les voitures et autres deux-roues à moteur. Nous évoluons dans un paysage de collines amputées, où la poussière et le bruit ne laissent pas de répit.
320 bornes depuis Pushkar… Udaipur se faisait attendre mais nous y voilà, avec finalement un jour d'avance tant nous étions pressés de quitter l'ambiance National NH58. En attendant d'en savoir un peu plus ce qu'Udaipur nous réserve nous avons tout deux besoin d'un petit jour ou deux repos… On vous raconte la suite bientôt!
Jour 787 - Ivre d'Inde...
Dimanche 22 février 2015 - 0 kms - Post n° 559
Barth : Udaipur sera notre dernière étape indienne, avant le passage forcé par Delhi pour prendre notre avion. Ces derniers jours de route et les températures qui grimpent de jours en jours nous ont beaucoup fatigué, et comme le disait Fanch nous sommes déjà partis d'Inde dans nos têtes. Déjà en train de planifier le saut en avion, l’atterrissage à Tbilissi où il semble qu'il y a pas mal de choses à faire, et en train de boucler cette étape ô combien intense en préparant le tournage du prochain checkpoint. La Venise du Rajasthan n'est pas le pire endroit au monde pour ce programme bien chargé. Même si pour l'heure je n'ai pas poussé l'exploration bien loin, le calme de la chambre au Hanuman Ghat Hotel me paraissant depuis notre arrivée la plus délicieuse expérience à vivre en ce bas monde…
Car oui, le constat est sans appel, Geocyclab n'a pas été à la hauteur de ses ambitions dans ce pays unique et imprévisible. Il y a de nombreuses circonstances qui expliquent que nous ayons été pris de court à ce point. A commencer par le fait que cette traversée de l'Inde s'est faite en deux temps, interrompue par un mois de travail à Kuala Lumpur, suivi de vacances au Népal et dans l'Hymachal Pradesh. Forcément, ça casse un peu l'immersion. Mais ce n'est sans doute pas plus mal au final, car je ne suis pas sûr que nous aurions tenu le coup d'une apnée continue de trois mois, tant nous étions rincés en arrivant ici la première fois, après la dengue thaïlandaise et la traversée pressante de la Birmanie. La deuxième raison tient au fait que nous ayons été si préoccupés pendant tout notre séjour par le point d'interrogation du Pakistan. L'horizon de nos coups de pédale quotidiens, habituellement chargé de projections et d'impatience, a été remplacé par l'aéroport de Delhi dont nous ne connaissons que trop bien les charmes exotiques en compagnie de deux vélos couchés et d'une dizaine de sacoches… L'impasse se dessinait petit à petit et a fini par transformer notre relation à la route. Et ajoutons à cela un manque de chance ou de flaire qui fait que nous n'avons pas réussi à contacter ou à rencontrer les quelques pistes que nous avions en vue pour notre enquête sur le Libre.
C'est ainsi. Il n'y a pas lieu de s'en plaindre ou de s'en trouver déçus. Les deux années passées nous ont enseigné qu'il était bien vain de chercher à lutter contre la providence, et quand bien même on aurait essayé que l'Inde aurait vite fait de nous en détourner. Ici les règles du jeu ont changé, nous ne traversons pas un territoire plus ou moins habité en vélo couché comme nous avons l'habitude de le faire. Non, ici nous sommes une attraction ambulante, envoyée par les dieux ou le gouvernement selon le degré d'imagination de notre public à la curiosité inépuisable, et l'Inde est alors notre spectatrice autant que nous en sommes ses spectateurs. Ce phénomène de miroir nous déconcentre de notre projet, nous demande bien plus d'énergie que dans n'importe quel autre pays, et rend impensable l'idée d'ajouter une visite touristique au menu de nos journées.
Mais tout ceci ne m'empêche absolument pas de savourer mon premier voyage en Inde, bien au contraire ! Je n'ai jamais ouvert aussi grand mes yeux dans l'espoir de déchiffrer un indice, de déceler un geste, un signe, une marque susceptible de donner un sens à l'enchaînement de micro-événements, de spectacles et de surprises qui rythment sans interruption le cinéma réel de la rue indienne. Tout n'est que vibration ici. Les mots qui servent à différencier la ville de la nature, l'homme de l'animal, le public du privé, ou encore le raisonnable du fou, ne sont plus d'aucune utilité. Il n'y a plus de sons, de musiques, de voix, de klaxons, de moteurs, tous fusionnés dans une clameur folle qui ne se tait que quand toutes les étoiles sont visibles. Il en va de même pour les couleurs, les formes, les constructions, les objets naturels, les êtres animés ou inanimés, les décors et les paysages, qui s’entremêlent et discutent ensembles au mépris de toute logique, dans un grand bain de poussières, de fumées et de lumière…
Le plus troublant sans doute est que la règle devient la même pour les humains, quand il devient difficile de communiquer avec une seule personne tant elle est en interaction avec les autres, souvent trop nombreux. Alors il n'y a plus qu'à suivre la danse, ou tout au moins la suivre du regard…
Et apercevoir une grue huppée, un paon, un envol de perruches vertes, un sadou qui se baigne, le gros œil affolé d'un buffle que nous doublons sur une route trop étroite, ou le frémissement de moustache du chef du village quand il découvre le portrait de lui sur l'écran de la caméra.
Et constater l'impressionnante urbanisation d'un pays de plus d'un milliard d'habitants en pleine croissance économique, tout en se faufilant prudemment entre les piles de béton du chantier pharaonique d'une autoroute suspendue…