Birmanie
Distance parcourue : 905 kms
Durée : 27 jours
Date d'entrée : 2014-09-29
Date de sortie : 2014-10-25
Jour 641 - Thin Gan Nyi Naung Road
Lundi 29 septembre 2014 - 65 kms - Post n° 531
Fanch : Chaleur intense, route étroite et defoncée, poids-lourds et pick-ups surchargés peinant à gravir une côte abrupte et tortueuse de 20 kms. Autant dire que ce programme ne nous enchante guère et l'option auto-stop est envisagée pour franchir le col. Mais c'est un peu crier avant d'avoir mal. Certes c'est raide, c'est chaud et il n'est pas rare de faire quelques tours de roue en apné pour ne pas respirer les fumées noires des engins fatigués, mais avec de fréquentes pauses pour s'hydrater, nous atteignons le col redouté.
Myawaddy est derrière nous, les citadins accommodés au visages pâles laissent leur place au peuple de la route et des champs, isolé géographiquement et culturellement de l'afflux touristique. Wine Lhain nous accueille dans sa cabane le temps d'une pause. Il pose le thermos de thé sur le plancher dont les lattes laissent passer le jour et nous sert un verre. On ne comprend pas ses mots mais une communication gestuelle s'installe et en quelques minutes nous avons fait connaissance. Il 63 ans, est séparé de sa femme, a cinq enfants et des problèmes de dents, son chat s'appelle Mimiwa et il attend le jeune bonze pour lui offrir son riz quotidien. Il me montre ses vielles dents usées par le mélange d'herbe rougeâtre que les gens de la région chiquent en permanence. Je souris et il me tend son bout de miroir pour que j'admire ma dentition. Il répétera ce même geste plusieurs fois comme pour me rappeler que le corps se dégrade trop vite. C'était (juste) le temps d'une pause.
Notre route est ponctuée de monastères bouddhistes, les extrémités dorées des pagodes percent le vert d'une végétation profonde. Sur le goudron usé, des adolescentes agitent bruyamment une gamelle contenant quelques piécettes ou rondelles de métal. Ce son rapidement identifiable rappellent aux routiers que les moines vivent essentiellement de l'aumône et qu'un petit billet serait le bienvenu. Les sourires que je perçois sans arrière pensée sont toujours aux rendez-vous, n'importe où, n'importe quand, c'est assez incroyable.
Et comme pour nous féliciter d'être parvenu jusqu'au col, le paysage, sauvage se montre généreux. Mon cœur palpite sous l'effet de l'émotion et je pense qu'il en est de même pour Barth, nous retrouvons enfin l'une des raisons pour lesquelles nous avons quitté le pays… On est bien.
Jour 642 - Changement de décor
Mardi 30 septembre 2014 - 75 kms - Post n° 532
Barth : Deuxième journée de route en Birmanie, et l'étrange impression de recommencer à voyager… Depuis six mois, Geocyclab a passé plus de temps en mode sédentaire que véritablement sur la route et notre entrée en Birmanie signe enfin le terme de cette période studieuse mais néanmoins nécessaire…
Je reviens un instant sur notre séjour en Thaïlande qui ne fut pas aussi dépaysant qu'attendu, la faute à la dengue bien sûr et au mode de vie d'expatriés que nous avons savouré en conséquence chez Etienne, Emmanuelle et leurs enfants. Mais il y a aussi cet étrange sentiment d'avoir traversé dans un immense parc d'attractions, coupé du reste du monde et dédié à l'industrie du tourisme de masse. Rien que le nom Thaïlande m'évoque aujourd'hui quelque chose comme Wonderland ou Disneyland.. Quelque chose d'artificiel, de dénaturé à quoi vient s'ajouter la barrière de la langue et le climat de fanatisme politique comme distances supplémentaires avec la réalité de ce pays, avec les gens, leurs idées, leurs sentiments…
Bien sûr, avec plus de temps et en nous enfonçant plus profondément dans les campagnes, nous aurions certainement eu accès à quelque chose de plus authentique, mais en me basant sur mon premier séjour ici avec Anaïs quelques mois auparavant, j'en ai assez vu pour mesurer le décalage qui règne entre l'esprit de liberté et de bien-être qui attire des millions de touristes des quatre coins du monde, et cette société d'enfants sans liberté, toute dévouée au bon plaisir de sa majesté le roi et subissant les caprices et les abus de pouvoir d'une armée qui tient véritablement les rennes du pays.
Je ne vais pas pousser plus loin l'analyse car je suis conscient que nous sommes passés à côté de beaucoup de choses qui pourraient contredire ce sentiment global. Comme partout en Asie du sud-est les mutations sociales, économiques et politiques vont bon train et sont impossibles à décoder en si peu de temps. Quoi qu'il en soit, la réputation de la gastronomie thaïlandaise ne nous aura pas déçu, et les quelques jours de vélo que nous avons parcouru nous ont montré qu'ici comme ailleurs se trouvent des gens généreux et accueillants, et des paysages naturels sans doute mieux préservés que ceux que nous avions découvert en Malaisie.
Après notre journée de montagne d'hier qui nous a physiquement coupé de la Thaïlande, nous avons expérimenté aujourd'hui les premières réalités logistiques de la Birmanie avec lesquelles il va falloir apprendre à composer. En décollant ce matin, nous avions dans l'idée de rejoindre Moulaymiane, en empruntant une petite route secondaire le long d'une rivière et évitant ainsi un détour d'une centaine de kilomètres. Une fois rendus à la bifurcation visée, nous avons pris le temps de nous renseigner et très vite les réticences se sont fait sentir. On nous dit que la petite route est dangereuse, ou pas praticable à vélo.. En insistant un peu, la solution d'embarquer sur un bateau pour descendre la rivière sur quelques kilomètres se profile, mais au moment d'embarquer, un homme en liaison téléphonique avec les autorités nous fait savoir que ce n'est pas possible. Après une heure ou deux de discussions, nous comprenons qu'il n'y a pas grand chose d'autre à faire que de suivre les instructions du tour operator gouvernemental et nous enchaînons donc sur la route principale…
A chaque pause, à chaque véhicule croisé, les « Hey you !.. Good morning ! » avec des sourires jusqu'aux oreilles, viennent contrebalancer la rigueur politique qui dicte désormais notre avancée. Que dire quand à peine assis pour siroter un thé à l'ombre, une gamine de trois ou quatre ans vient se poster juste devant vous et vous adresse tout sourire : « I love you ! »… Nous avions une petite idée de ce qui nous attendait dans ce pays grâce aux renseignements de notre ami Giom passé ici au début de l'année, et pour le moment rien ne vient le contredire, les birmans sont un peuple incroyablement attachant !
Nos expériences de bivouacs improvisés dans différents pays nous donnent envie de tester un peu la rigidité des règles du jeu qu'on tente de nous imposer. Nous n'avons pas pu emprunter la petite route que nous voulions, soit ! Mais de ce fait nous ne pouvons pas atteindre la prochaine guest-house avant la nuit. Nous décidons donc de nous imposer à Ein Du, petit village où nous débarquons avec 75 kilomètres dans les pattes. Nous croisons un homme qui se dit être policier et lui expliquons que nous ne pouvons plus pédaler à présent car la nuit tombe, l'orage menace, et nous pensons donc venir au poste de police pour y passer la nuit… Pas de réponse… Puis en grignotant un genre de kouign-aman le temps d'en savoir plus, les serveurs qui parlent mieux anglais nous expliquent que nous ne pouvons absolument pas dormir dans ce village, et encore moins au poste de police où une bombe a explosé quelques jours auparavant. Il semble donc que le danger soit réel, du fait des agitations récentes des rebelles karens. Nous acceptons donc avec un peu de gêne, l'aide de Yan Naingoo qui nous emmène sous l'orage qui a maintenant éclaté et avec tout notre barda entassé dans sa petite voiture, jusque Hpa-An, la prochaine ville à une vingtaine de kilomètres.
Grâce à Giom, nous trouvons rapidement la guest-house la moins chère de la ville, avec eau chaude et wifi s'il vous plaît !.. Et ce soir, c'est restaurant et une pinte de bière « Myanmar » pour arroser cette journée triplement spéciale ! En effet, nous fêtons aujourd'hui nos deux ans de route, le passage symbolique des 10 000 kms, et grâce à vous la validation de notre collecte sur Ulule avec 3500 euros atteints à dix jours de la fin !!! Il y a des synchronicités qui ne trompent pas, Geocyclab vient de franchir un cap et l'année qui nous reste pour rejoindre la France s'annonce haute en couleurs !
Jour 645 - Bain de foule à Kyaiktiyo
Vendredi 3 octobre 2014 - 75 kms - Post n° 533
Barth : En arrivant à Kyaiktiyo deux bonnes heures avant le coucher du soleil, nous décidons de prendre le temps d'un petit détour jusqu'à la côte toute proche dans l'espoir d'y trouver un spot pour piquer une tête et dissoudre un peu la couche de sueur qui nous colle au corps après 70 kilomètres dans la fournaise tropicale… Il faut dire que d'après notre itinéraire planifié, c'est sans doute la dernière fois que nous côtoyons la mer avant bien longtemps. Nous allons maintenant nous enfoncer dans le continent eurasien et le prochain bain marin ne se fera peut-être qu'en Atlantique dans un an…
Comme toujours quand on s'éloigne de la route principale, le décor change d'un coup. Le dédale de petites ruelles ensablées que nous empruntons traverse une sorte de village de pêcheurs avant de déboucher sur une plaine marécageuse où canards et cochons déambulent entre quelques embarcations échouées. Notre arrivée ne passe pas inaperçue bien sûr, trois, puis cinq, puis dix, puis cinquante enfants arrivent de partout et la perspective d'une baignade prend vite la forme d'un bain de foule !
Personne ou presque ne parle anglais ici, la conversation est donc quasi impossible. Mais les vélos suffisent à amadouer notre auditoire, et tandis que Fanch anime un workshop essayage de vélo couché, je profite du calme relatif pour sortir l'appareil photo et m'éloigner un peu. En vain, je suis vite repéré et tous les gamins rappliquent, enthousiastes à l'idée de se faire tirer le portrait. Je ne me fais donc pas prier et mitraille comme je peux parmi les frimousses grimaçantes qui attirent mon attention par tous les moyens possibles. La règle du jeu est simple, à chaque cliché, je suis tenu de montrer le résultat sur le petit écran de l'appareil, manquant à chaque fois de me le faire arracher par la centaine de mains qui s'y agrippent pour pouvoir apercevoir quelque chose.
On file ensuite à une cinquantaine de mètre vers une sorte de cabane flottante en bambou qu'un homme me désigne comme sujet potentiel pour un cliché. La horde d'enfants ne me lâche pas d'une semelle et c'est reparti pour une séance de shoot ! Ainsi de suite.. Pendant ce temps, Fanch s'est embarqué dans une partie de ballon avec les plus grands, et au moment où nous faisons sentir que nous n'allons pas tarder à décoller, une des femmes qui étaient en train de creuser le sol pour récupérer du limon servant surement pour les cultures, me fait comprendre par quelques gestes qu'elle veut que je la photographie avec son amie. L'émotion avec laquelle elle me fait cette demande, et la réaction entre terreur et fou rire de son amie m'impressionne, mais je m’exécute avec plaisir. Impossible d'en savoir plus sur les raisons de l'intensité de ce moment. Le rapport à l'image, le statut de la femme, ou simplement le premier contact aussi direct avec un étranger ?.. Sans doute un peu des trois…
Dans le soleil couchant, les bye-bye n'en finissent pas jusqu'au moment où nous retrouvons le vacarme et la poussière de la route qui met fin à cette bulle de fraîcheur. Des moments comme celui-là sont trop rares quand on voyage à vélo sur les axes principaux d'un pays, mais il suffit de pas grand chose pour les provoquer et nous remettrons sûrement ça !
Jour 648 - Arrivée à Yangon
Lundi 6 octobre 2014 - 110 kms - Post n° 534
Barth : Déjà une semaine de route à travers le Myanmar, et les journées se sont enchaînées aussi vite que les kilomètres. Il semble que nous n'ayons jamais autant transpiré, la faute à une chaleur particulièrement moite qui fait le bonheur des quelques mycoses qu'on commence à cultiver dans la sueur. Mais malgré ça, on avance bien !
Concernant les routes, nous sommes heureusement surpris car il semble que depuis le passage de Giom qui nous avait mis en garde contre l'état délabré de ces dernières, des travaux de rebouchage de trous ont été entrepris et les passages sur tôle ondulée sont plutôt rares. La densité du trafic est supportable, du moins jusqu'à notre approche de Yangon et c'est surtout le concert incessant des klaxons qui épuise les nerfs en fin de journée. Fanch le faisait remarquer dans un précédent article, nous sommes repassé à droite pour le sens de conduite. Nous concernant il a suffit de d'intervertir nos rétroviseurs pour nous adapter, mais ce qu'il n'a pas précisé, c'est que dans cette ancienne colonie britannique, le sens de conduite était traditionnellement à gauche, et la décision de l'inverser est une lubie du pouvoir qui date de quelques années. Cela fait que la plupart des véhicules ont leur volant à droite, et leurs pots d'échappement également… Les birmans s'y sont fait, et dans chaque camion ou bus, se trouve un copilote collé sur le côté gauche de la cabine et chargé de signaler au chauffeur s'il peut déboîter ou non pour dépasser un autre véhicule. Quand aux pots d'échappements, je parle ici de ceux des poids lourds, ils sont le plus souvent sur la droite du véhicule, précisément à la hauteur de nos têtes. La première bouffée de gaz noir et chaud en pleine face nous a tous les deux surpris, mais avec l'usage, on apprend à anticiper et à prendre sa respiration quand un camion double en pleine côte.
Un petit mot au sujet de la nourriture qui constitue tout de même un élément capital de notre vie quotidienne. Personnellement, je pleure en repensant aux pad thaïs et autres merveilles que nous avons abandonner derrière nous en Thaïlande. Ici, la nourriture est souvent très grasse, toujours avec une assiette de riz blanc pour éponger un peu, mais la plupart du temps il s'agit de plats cuisinés le matin et servis froids, ce qui ne me fait jamais plaisir. Même dans un pays tropical, je préfère les saveurs subtiles d'un plat fraîchement cuisiné ou d'une simple soupe de nouilles, au goût d'huile pimentée qui imbibe toutes les recettes ausi variées soient-elles…
Heureusement, nous tombons parfois sur une chouette cantine-bar, où une soupe de légume, une salade de pois chiches ou de lentilles, accompagné d'un roti (genre de chapatti) et suivi de quelques pâtisseries locales, viennent me remonter le moral ! Mais il n'est pas toujours simple de dégoter ce genre d'endroit dans les petites villes. Côté boissons, le thé brûlant gratuit nous attend dans un thermos à n'importe quelle table, et les coffee mix (café au lait industriel) nous rappellent de déjà vieux souvenirs d'Indonésie. Nous nous sommes autorisé une fois ou deux à boire une bière car l'alcool coule à flots ici. Bières et mauvais whisky font partie de la panoplie pour oublier le passé si l'on en croit les dire de cet ivrogne croisé lors d'une pause déjeuner et nous expliquant entre deux absences cérébrales, qu'il est ancien prisonnier politique et que sa nouvelle passion tourne autour de son scooter et son biberon de whisky… Les alcooliques anonymes ont un marché potentiel impressionnant en Birmanie.
Nous n'avons pas encore essayé de dormir à la belle ou chez l'habitant, et on s'en sort pas trop mal avec les guest-houses qu'on trouve. Partout, la connexion wifi est au rendez-vous, il ne reste plus qu'à y faire passer internet, car pour le moment le débit est quasi nul. Nous ne sommes donc pas très connectés, sans doute même moins que la population locale qui est suréquipée en smartphones. Comme toujours il n'est pas facile de mesurer à quel point ces usages sont fraîchement débarqués mais on sent bien que l'ouverture récente des frontières a inondé le pays d'une quantité incroyable de produits inexistants auparavant. Avec l'Inde, la Chine et la Thaïlande comme voisins mitoyens, le Myanmar est on ne peut mieux placé pour bénéficier en première ligne des nouvelles technologies dont ces pays sont producteurs.
En séjournant dans des guest-houses, nous avons le temps de visiter un peu les innombrables pagodes qui jalonnent notre route, d'y tourner de nouveaux haïkus, et de nous tenir à jour dans le derushage des images et sons qui recommencent à remplir quotidiennement nos disques durs. L'atelier de Geocyclab retrouve sa forme d'antan. Mais pour l'heure, nous voici arrivés à Yangon, dernière halte administrative avant de disparaître vers le nord et regagner l'Inde. Nous allons essayer de débusquer ici quelques acteurs de la culture du Libre…
Jour 651 - Tha Bar Wa center
Jeudi 9 octobre 2014 - 0 kms - Post n° 535
Fanch : Bago, Lundi 6 Octobre. 6h30. Malgré la connexion douteuse de la guest house, nous découvrons en ouvrant la boîte mail de Geocyclab que notre plan Couchsurfing de ce soir est confirmé. Nous logerons dans un centre situé sur l’île de Taliyne rattachée par un pont à la banlieue de Yangon. Je regarde rapidement la carte, à vue d’œil une grosse journée de vélo s'annonce puisque Tanliyn se trouve à 20 bornes au Sud Est de Yangon.
La route reliant Mandalay à Yangon est largement fréquentée alors le paysage ne dévoile rien de bien fantastique en comparaison avec ce que nous a offert la Birmanie lors de la première semaine. En revanche, les pauses nous amènent toujours à apprécier la nature souriante et curieuse du peuple birman. C'est en pénétrant dans les faubourgs de Yangon et par un heureux hasard que nous rencontrons Lone, un couchsurfer à vélo avec qui nous avions échangé quelques mails auparavant. Rapidement il nous annonce que le pont que nous voulions emprunter pour rejoindre le point final de cette étape n'est pas autorisé aux deux roues et que le seul moyen d'y accéder est le train. Changement d'itinéraire, en route donc vers la gare la plus proche. Nous suivons Lone, notre guide qui par la suite nous apportera son aide pour acheter les (bons) billets et chargera un agent de la compagnie ferroviaire de nous faire monter dans le (bon) wagon car il n'y pas une seule indication que nous puissions décrypter ici!
Deux heures de train et 110 bornes bornes dans les pattes, nous sommes accueillis au centre. « Le centre » c'est en fait le seule indice que nous avions sur la nature de notre nouvel hébergement. Un centre nommé ThaBarWa.
ThaBarwa est en fait un centre bouddhiste fondé et présidé par Sayadaw U Ottamasara, dédié à l'enseignement Dhamma (enseignement de Bouda) et à la méditation Vipassama. Depuis sa fondation en 2008 ce lieu ne cesse d'évoluer et accueille aujourd'hui plus de 2400 yogis (personnes pratiquant la méditation, n'entendez pas là « maître »). L'accès au centre est gratuit (nourriture, hébergement, soin, éducation…) et ouvert aux pratiquants de toutes religions ainsi qu'aux plus défavorisés (sans abris, malades souffrants de trouble mental, alcooliques, drogués…). L'économie de ThaBarWa est entièrement basée sur le don (alimentaire, matériel, financier). Le centre a aussi créé le « 15 square feets village » à une dizaine de minute du principal lieu de méditation. En bâtissant cette petite ville (plus de 15000 habitants), le centre offre temporairement aux familles les plus démunies une terre de 15 pieds carré dotée d'une humble maisonnette en échange d'une journée de méditation. Encore une fois, cette initiative toute récente (2012) et déjà impressionnante de par les moyens mis en oeuvre est rendue possible grâce à la générosité du peuple. Quand on sait que dans la culture bouddhiste, le don fait croître son karma, on comprend alors qu'un projet de cette ampleur puisse ainsi se développer.
Encore une fois, le temps nous est compté, si on ajoute à cela de nombreux et fastidieux allers-retours à Yangon pour nos histoires de permis et d'interviews (que je laisse à Barth le soin de développer dans un prochain article) qui ne nous laissent pas vraiment l’opportunité de nous impliquer dans la vie du centre, nous sommes ici en position d'observateurs. Malgré cela, je considère cette expérience comme un privilège pour Geocyclab car ce lieu applique avec une philosophie différente certains des principes de la culture du Libre qui nous tiennent à cœur.
Nous ne sommes pas les seuls étrangers à traîner nos guêtres dans les parages, Tony (USA) Calvin, Denis et Ben (Allemagne), quatre voyageurs en quête de dépaysement, logent dans le même bâtiment. Les western people que nous sommes, plongeons dans un nouvel univers, côtoyant les bonzes sans pour autant comprendre vraiment les subtilités de leurs coutumes. Seul Calvin immergé depuis un certain temps dans cet autre monde nous donne parfois quelques clés de lecture. Le courant passe bien et nous nous retrouvons régulièrement à discuter de ce que nous sommes en train de vivre ici, nous échangeons nos interrogations et points de vue sur un mode de vie et de pensée encore difficilement accessible pour les non initiés.
Jour 654 - Bilan de Yangon
Dimanche 12 octobre 2014 - 0 kms - Post n° 536
Barth : Une semaine déjà que nos vélos se reposent à l'abri dans la cour du bâtiment où nous logeons au centre bouddhiste Tha Bar Wa. Pour notre part, malgré le confort que nous offrent nos hôtes, les allers-retours à Yangon aux heures de pointes, deux fois deux heures de routes chaotiques dans le meilleur des cas, ne nous ont pas vraiment reposé. Yangon est comme toute grande ville asiatique, totalement saturée de véhicules, de bruits, de klaxons, dans un décor boueux ou poussiéreux selon s'il a plut ou non. Pour ma part, j'y ai retrouvé une atmosphère proche de celle de Dakar, avec les moines bouddhistes à place des bayfalls. Les nombreux bâtiments datant de la période coloniale, souvent envahis par la végétation rendent cette ville attachante, à condition de ne pas y aller pour autre chose que flâner, ce qui n'était pas notre cas…
Tantôt en nous incrustant dans un des camions pleins de moines et nonnes allant quêter dans certains quartiers de Yangon, tantôt en s'engouffrant dans un de ces vieux bus totalement bondés qui foncent sur les routes défoncées en klaxonnant à tout va. L’expérience en vaut la peine, ne serait-ce que pour assister aux acrobaties du gamin qui braille à chaque arrêt le nom des stations desservies par le bus avant de se faufiler parmi les passagers pour récupérer les quelques centaines de kyats dont il faut s’acquitter. L'un d'entre eux, sûrement dopé au Red-Bull (boisson énergisante thaïlandaise qui coule à flots ici, en complément du bétel que tous les hommes, et certaines femmes, mâchouillent à longueur de journée en crachant régulièrement un jet de salive couleur sang), un gamin d'une douzaine d'années sans doute nous laissera un sacré souvenir. Ayant repéré notre attention pour ses acrobaties, il en a rajouté des caisses, en challengeant les autres bus, dansant et chantant au son de la sono, un véritable show mais toujours très professionnel quand il a fallu nous accompagner à pied à quelques centaines de mètres pour nous faire attraper notre correspondance alors que son bus était immobilisé dans les bouchons depuis une bonne heure.
Les journées sont ainsi passées rapidement, la moitié du temps dans les transports, et le reste entre longues connexions internet, principalement pour préparer notre session de travail à Kuala Lumpur et donner à l'équipe de Biji Biji le maximum d'informations pour qu'ils puissent avancer de leur côté avant notre arrivée. Nous avons aussi fait la demande pour le permis spécial qui va nous permettre de passer la frontière de la Birmanie à l'Inde. Une centaine de dollars chacun à débourser, quelques photocopies de nos passeports et l'affaire s'est avérée plus simple et efficace que nous ne l'appréhendions. Les derniers jours de notre collecte sur Ulule, qui s'est finalement arrêtée sur le chiffre rond de 4000 € collectés, nous ont donné un peu de boulot aussi pour remercier tout le monde, clôturer administrativement l'opération… Encore un immense merci à toutes celles et ceux qui ont joué le jeu et nous ont fait confiance en redonnant à Geocyclab un peu de marge de manœuvre pour les mois à venir !!! Pour le reste, à la suite d'un combat acharné contre les douanes, le transporteur DHL et la société ayant assuré le service après-vente à Taïwan, Anaïs nous a annoncé la bonne nouvelle : feu notre premier ordinateur, tombé sous les chocs électriques mexicains, est ressuscité et de retour au bercail ! Nous avons donc un ordinateur tout terrain à vendre à un prix défiant toute concurrence, contactez-nous si vous êtes intéressés !
Enfin, notre séjour à Yangon a été l'occasion de rencontrer Chit Ko et Tho Hi, deux activistes du monde l'Open Source que nous avions contacté par mail quelques jours avant notre arrivée. Tous deux sont membres de la Ubuntu Myanmar LoCo Team, et nous parlé un peu de leurs activités devant notre caméra. Les choses se sont faites un peu sur le pouce, mais nous sommes très heureux d'avoir réussi à dégoter ce petit foyer de la culture de Libre qui a des rêves de FabLabs et de boutiques hardware plein le tête, dans un pays où internet vient à peine de débarquer. Je ne vous en dit pas plus pour le moment, tout ceci sera à découvrir en détail dans un prochain Objet Libre sur notre site.
Ce matin nous nous sommes levés à 5h30 pour un dernier petit déjeuner communautaire en présence de Sayadaw U Ottamasara. A la fin du repas, nous avons eu l'honneur plus que le plaisir, de prendre place à ses côtés pour une séance de shoot photographique. Notre train pour Mandalay partant à 17h, nous n'étions pas pressés, et Lee, un des moines originaire de Malaisie avec qui nous avons sympathisé, sur le départ pour la Californie, nous a proposé de profiter du van qui le conduisait à l'aéroport, pour nous déposer à la gare, ce qui nous ferait gagner quelques heures de train et de pédalage dans les bouchons ! Nous avons ainsi eu le temps de suivre les moines dans leur quête hebdomadaire à travers le « 15 feet square village », pieds nus dans la boue mais avec la caméra !
Finalement, nous sommes arrivés à la gare, après avoir fait nos adieux à nos camarades de chambrés, et les trois heures que nous avons à attendre avant le départ du train sont consacrées à une séance de dessin pour décrire dans ses moindre détails l'installation artistique que nous comptons faire à Kuala Lumpur. Dans le train ce ne sera pas possible, nous avons entendu dire que les voies datant de l'époque coloniale, il est presque difficile de se tenir debout quand le train est en marche tellement ça secoue..!
Jour 657 - Mandalay
Mercredi 15 octobre 2014 - 0 kms - Post n° 537
Fanch : Dimanche 12 octobre. Ça tangue comme sur un zodiac un jour de houle, latéralement et/ou dans le sens de la marche. Les mécaniques claquent, grincent, vibrent de tous côtés et provoquent un vacarme incessant. Nous sommes dans le train birman, le genre de train sans porte où l'on peut se suspendre dans le vide en s’agrippant aux poignées des petits escaliers, un train que l'on peut attraper en marche, d'où l'on peut descendre avant l'arrêt complet des machines. Ici on a le temps de saluer les vieux qui lisent leurs journaux assis sur les rails, on a le temps de sourire aux femmes qui étendent le linge sur les bas-côtés ou d'attirer l'attention des mômes qui jouent au foot entre deux lignes… Le chemin de fer birman est une route sur laquelle il y a de la vie…
Le train accélère progressivement, la violence des chocs s'accentue mais rien ne vient perturber l'ambiance générale… Nous sommes en route pour Mandalay que nous atteindrons demain matin, dix-sept heures plus tard. Barth profite des dernières lueurs et savoure le moment caméra au poing avec en tête un nouveau Haïku. Quand à moi, je me laisse bercer par le rythme des « cloub-cloup, cloub-cloup » des rails et à cet instant précis, alors que je regarde le soleil tomber doucement sur les rizières, pour rien au monde je ne voudrais être ailleurs.
L'option couchette était plus cher de quelques euros mais je ne regrette rien. Si déjà le voyage peut s'avérer éprouvant depuis notre cabine partagée, je n'ose imaginer ce qu'il en aurait été, assis sur les banquettes de bois de la classe éco où des dizaines d'hommes de femmes, d'enfants et de vieillards dorment entassés dans des positions complètement incongrues. Le marchand de sable de la ligne Yangon-Mandalay aime jouer à Tetris, moi qui pensais être capable de dormir n'importe où n'importe quand, je prends ici conscience que je suis novice en la matière et une fois de plus, que le confort est une notion toute relative, qu'on se le dise.
Enfin bref, c'était un tout petit article pour dire que nous aurions aimé faire cette route en vélo mais encore une fois, le temps manque, nous devons joindre la frontière indienne d'ici une dizaine de jours et donc prendre des « raccourcis ». Mais bon, le train birman est un beau lot de consolation, le jeu en valait la peine.
Barth : Mandalay fait partie des étapes incontournables du circuit touristique birman en tant que capitale bouddhiste, et ça se sent tout de suite au nombre de chauffeurs de moto-taxi qui vous proposent une excursion sur les différents sites historiques des environs… Notre premier petit déjeuner dans cette ville est interrompu par la visite d'un moine de quatre-vingt douze ans, qui nous raconte dans un anglais impeccable, que de son temps, la route que nous avons emprunté pour rallier la frontière Thaïlandaise à Yangon, lui prenait un bon mois… A pied bien entendu ! Ce devait être sans poussière et gaz d'échappements, dans le silence de la jungle, la belle époque quoi !.. Le retour au présent est assez radical. Ayant remarqué que la connexion internet de notre hôtel est bien plus stable que celle de Yangon, on décide de prendre une journée pour boucler les dernières urgences (achat de billets d'avion en ligne avec les parents de Fanch qui nous envoient en direct live des codes reçus par téléphone, synchronisation du site et rédaction d'un genre de cahier des charges à Biji Biji pour anticiper au maximum notre intervention dans un mois) avant d'explorer à notre manière les environs…
Nous partons donc le lendemain en direction de la cité royale, une immense forteresse carrée de 2,5 km de côté, entourée d'une large douve et qui semble être le cœur historique de Mandalay. La première entrée que nous visons n'est pas ouverte aux visiteurs, et quelques taxis motos se font un plaisir de nous proposer leurs services pour atteindre l'autre porte à l'opposé de la citadelle, soit à une distance de cinq kilomètres.. On négocie un peu et nous voilà partis pour l'entrée officielle, avec un contrôle de police au beau milieu ayant apparemment pour seul objectif de soutirer un peu d'argent à un de nos chauffeurs. « They just want money !.. » me dit-il… Et ce ne sont pas les seuls, car l'entrée dans la citadelle coûte 10 dollars par personne.. C'est le prix du pass journalier pour visiter tous les sites payant de Mandalay en mode marathon, non négociable. Pas question de s'embarquer dans ce genre de business, on repart à pied, en direction d'une petite montagne recouverte de pagodes et dont l'exploration gratuite devrait nous occuper l'après-midi. Une longue série d'escaliers, souvent squattés par différents marchands du temple (souvenirs, rafraîchissements, astrologie..) nous conduit à la pagode la plus élevée, d'où la vue sur Mandalay est assez impressionnante malgré la poussière qui flotte dans l'air. Pendant que Fanch se pose un instant pour enregistrer quelques sons, je salue d'un sourire un jeune moine qui engage alors la conversation en me disant qu'il est étudiant en anglais et langue bouddhiste et qu'il se propose de nous accompagner un peu, histoire de pratiquer son anglais.
Le soleil commence à rougir au-dessus de l'horizon, l'heure à laquelle des cars entiers de touristes débarquent pour mitrailler le « sunset », le temps pour nous de fuir en compagnie de notre ami le moine. Shinnyarnadaza de son nom bouddhiste complet, Nyarna pour les jours ordinaires, marche avec nous les cinq kilomètres qui nous ramènent à l'hôtel, tout en discutant de choses et d'autres. Issu d'une famille aisée de Yangon, il a choisi à l'âge de douze ans de devenir moine et à seize ans il vient tout juste de débarquer à Mandalay pour y commencer ses études. Nous sympathisons rapidement et lui parlons un peu de notre séjour à Tha Bar Wa, le centre de méditation qu'il connaît aussi. Lui nous parle de sa peur de l'Islam, nourrie par une vague d'assassinats perpétrée par des musulmans extrémistes du Bangladesh et ayant visé des bouddhistes l'an passé. Et cette crainte a l'air aussi alimentée par le discours des médias internationaux qu'il semble suivre attentivement car il est le premier birman capable de nous citer le nom de notre président de la république, dont il a entendu parler suite à l'engagement de la France dans la lutte contre l’état islamique au moyen orient… Nous tentons de lui faire comprendre que nous avons traversé de nombreux territoires musulmans plein de gens formidables, mais en vain. La non-violence du bouddhisme n'empêche pas semble-t-il une certaine forme d'obscurantisme… Mais nous plaisantons aussi quand il se cache les yeux en passant près de couples d'amoureux qui s'embrassent discrètement sur les quais de l'immense douve de la citadelle que nous longeons. « I cannot see that ! » répète t-il, plus ou moins sérieusement… Une fois arrivés à notre hôtel, rendez-vous est pris pour aller le visiter à son monastère/université le lendemain. La soirée est encore une fois studieuse pour nous, après avoir avalé un délicieux poulet au curry dans une sorte de restaurant de rue installé à même le trottoir.
Mercredi 15 octobre, un petit coup de vélo et nous retrouvons notre ami Nyarna en début d'apès-midi, à l'entrée de son monastère. Trois milles moines vivent ici habituellement mais en ce dernier jour de vacances annuelles l'endroit est plutôt calme. Nous nous arrêtons un instant devant un immense panneau d'affichage présentant des photos totalement impudiques des victimes de la vague d'assassinat islamistes, accompagnées d'un discours en langue birmane dont nous ne saurons pas s'il condamne les assassins, ou l'islam dans sa globalité… Nous filons ensuite vers l'ancien monastère du même nom, une merveille en bois de trois siècles d'âge que nous visitons dans une chaleur écrasante. Ensuite, une petite heure de bus pour atteindre un des sites touristiques de Mandalay, un ponton de bois qui enjambe un lac où de nombreux pêcheurs bravent les rayons meurtriers du soleil en s'immergeant totalement dans l'eau. Les cannes à pêches semblent léviter au'dessus de l'eau, suspendues aux chapeaux qui trahissent la présence des pêcheurs. Je me régale avec l'appareil photo, mais hélas Fanch ne me suit pas pour un éventuel Haïku, quelque chose n'est pas passé au déjeuner et le pauvre tourne de l'oeil.. Nous abrégeons donc un peu la visite, juste à temps pour éviter la nouvelle invasion de « »sunset addict tourists » et retournons au monastère pour y récupérer nos montures, faire nos adieux à Nyarna que nous espérons revoir un jour en France, quand il aura passé l'âge de 21 ans, ce qui lui permettra de sortir de son pays… Demain la reprise du pédalage s'annonce torride si le temps chaud et sec se maintient, une bonne nuit est nécessaire pour encaisser.
Jour 660 - Pause forcée à Monywa
Samedi 18 octobre 2014 - 0 kms - Post n° 538
Fanch : Jeudi 16 octobre, nous arrivons en fin de journée à Myinum, une ville ordinaire de taille moyenne. Après un coffe-mix assis à l'ombre d'un toit de taule, le temps de tâter l'ambiance du coin, nous partons à la recherche de l'auberge la plus « cheap cheap » du coin. Rapidement, un flic en civil nous repère et nous fait signe de le suivre, ça n'a rien de surprenant. Puis nous tentons une discussion. Un dentiste casse-couille qui n'écoute rien de ce qu'on lui dit se mêle à la partie et tout devient très compliqué. Les auberges de Myimun ne sont pas autorisées aux touristes… Haha, vas-t-en leur expliquer que nous ne sommes pas la pour faire du tourisme et qu'on a juste besoin de repos. La paranoïa des autorités nous mène donc face à l'absurde. Elles nous interdisent de dormir dehors ou chez l'habitant, mais aussi dans les auberges… En toute logique, la suite se déroule au bureau de police, où après quelques minutes le commissaire nous demande de quitter la ville et de rouler jusqu'à Monywa située à 60 bornes d'ici. Déjà, le soleil se couche et se déplacer sans surveillance de nuit est bien sûr prohibé (ce qui après une journée dans les jambes nous arrange bien)… Allô la police, on a un problème, comment on fait ? Ils sont une dizaine à aller et venir autour de nous, alors que cinq d'entre eux, en panique face à ce nouveau « cas » sont affairés à passer des coups de fil à leurs supérieurs qui eux-mêmes doivent probablement contacter leurs supérieurs, etc… J'aimerais bien savoir jusqu'où ça remonte. La situation est franchement drôle, la seule chose qui m'empêche de rire devant ce spectacle de désorganisation c'est ce dentiste collant qui nous fixe de son regard ivre et ne jure que par la Myanmar, la marque de bière la plus populaire du pays. Et ça dure, au moins trois heures !
Nous aurions espéré tendre nos hamacs dans l'enceinte du commissariat et s'en tirer comme en Indonésie, mais à la place, nos amis les flics nous flanquent - en s'excusant - dans un taudis à 15$ la nuit en nous sommant d'être dans notre « chambre » à 21H et en nous interdisant de sortir sans accompagnement… Ils nous refourguent donc comme chaperon le dentiste alcoolique qui le pauvre, peine de plus en plus à contenir ses ardeurs sexuelles. Bien avant 21H, ses mains baladeuses et les jeux de langue qu'il balance dans le vide auront raison de ma patience et de ma politesse, je m'énerve et menace de faire un scandale dans le petit restau-bistrot. C'est con, mais ce fut le seul moyen pour qu'il nous raccompagne à notre cage à lapin.
Constamment surveillés et obligés de côtoyer les hôtels à touristes, nous observons la plupart du temps une police désemparée quand il s'agit de prendre des responsabilités ou de faire une exception. La loi c'est loi, elle s'applique pour tous quels que soient l'ethnie, les croyances, le niveau de vie, la classe sociale… Et si t'es pas content, tu fermes ta gueule ou… Ou ça va péter (on se souvient tous de la révolution orange en 2007). À l'image du gouvernement, le ministère du tourisme ne fait pas de différence entre un touriste dépensant une fortune pour découvrir les joyaux du Myanmar via un tour opérateur et deux cyclistes « low-budget » qui pour aller d'un point A à un point B sont obligés d'emprunter la route qui relie ces deux points, d'y faire des pauses et parfois de dormir. Il suffit de sortir un peu des clous pour se heurter aux limites de ce système. Je ne compare pas notre condition de voyageurs (à vélo) à celle des ethnies minoritaire birmanes qui se battent tant bien que mal pour obtenir leurs droits, bien sûr, mais ces multiples confrontations avec les autorités en disent long sur la manière dont le pays est gouverné.
Une main de fer dans un gant de velours. Le gant de velours pour nous voyageurs, c'est certainement ces pagodes couleur or qui poussent par milliers au milieu d'une végétation luxuriante. C'est classe, on est d'accords. Mais pour une bonne partie des locaux la bière et le whisky font largement l'affaire. C'est pas con le coup de l'alcool, ça remplit les caisses de l'état, ça endort les consciences révoltées et en plus ça fait anti-dépresseur ! Et hop, trois en un. Ils sont plus d'un, dès 6h30 alors que nous sirotons notre café, à tenir ferme une pinte de bière ou à enchaîner culs sec les whiskys-eau (ça passe mieux avec de l'eau…) et en Birmanie on ne déconne pas avec ce genre de tradition. Nous avons aussi entendu dire que l'héroïne était une drogue largement consommée. Un gramme pour l'équivalant d'un euro, la moins chère du marché mondiale, à ce prix là on se dit vite que les dealers ne risque pas gros en vendant leur marchandise, étrange non ? Sous héroïne, il doit être vraiment doux le velours… Mais après ?
La Birmanie c'est beau, les gens sont adorables, la tradition fortement ancrée, pour une fois j'ai presque envie de dire que nous ne sommes pas loin de « l'Authentique » - ce gros mot issu de nos stéréotypes d'occidentaux - tant convoité par les voyageurs en tous genres. Mais derrière les magnifiques clichés de Barth se cache une réalité autrement plus complexe et peu réjouissante. Même si depuis ces dernières années on note certaines améliorations, qu'il est aujourd'hui possible de parler politique en public et que certaines voix s'élèvent contre le gouvernement, les peuples du Myanmar portent encore les stigmates d'une dictature répressive et totalement absurde.
Pour revenir à notre cas, ce n'est ni la premières ni la dernière fois qu'on nous obligera à dormir dans un hôtel bas de gamme dont les tarifs sont disproportionnés, 30$, 25$, 20$. Après négociation, on s'en tire la plupart du temps pour 15$, mais systématiquement on se retrouve dans une chambre insalubre avec climatisation défaillante… Conclusion, alors que trois ou quatre jours de montagne nous attendent, nous sommes bloqué à Monywa, incapables de pédaler puisque que nous avons tout les deux chopé un costaud mélange sinusite bronchite angine. Affaire à suivre…
Jour 664 - Impasse à Labo
Mercredi 22 octobre 2014 - 0 kms - Post n° 539
Fanch : Ça toussote encore un peu, nous ne sommes pas au plus haut de notre forme mais le temps en terre birmane nous est dorénavant compté. Nous quittons donc Monywa, son hôtel miteux et son ambiance de fête foraine. Les premiers tours de roues nous poussent en dehors du principal axe routier, le calme s’installe progressivement, un calme devenu décidément trop rare depuis que nous sommes en Asie. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, nous nous retrouvons seuls le temps d'une pause. Nous avançons à bon rythme malgré un paysage vallonné et une chaleur qui ne nous quitte plus. C'est en fin de journée que dépassons Yagyi, dernier village avant la colline, là où la route laisse la place à une piste chaotique qui commence à s'incliner sévèrement. Sur notre carte cet amas de terre tassée et de pierres aux angles saillants est appelé « Kalewa Highway »… On comprend dès lors que le passage du col de demain s'annonce délicat. L'obscurité progresse alors que nous sommes en pleine nature, à 85km de l'hôtel à touriste le plus proche. C'est l'occasion rêvé de se dégoter un plan dodo à l’abri du regard indiscret des autorités, encore faut-il trouver un spot dans cette forêt dense. Finalement, en s’enfonçant de quelques mètres dans la jungle, nous découvrons un petit hameau de quelques cabanes dont un toit de paille pour dormir. Pas de flics ce soir, pas de tourism-business, pas de bruit, juste une rivière et des étoiles…
Je déchante vite le lendemain matin avec cette piste pour VTT bien trop raide pour nos montures chargées. 15 bornes et environ 500 mètres plus haut, après l'effort, le réconfort. Et non, pas pour cette fois. Nous entamons une pente qui a pour seule mérite d'attaquer nos patins de freins, rien d’agréable là-dedans. Pour la première fois dans ce périple, la descente est aussi pénible que l'ascension. Enfin bon, nous arrivons à Labo, un petit village isolé entre deux chaînes montagneuses. La pause s'impose, la baignade dans la rivière aussi puis il faut déjà mettre le pied à l'étrier en direction de Kalewa. Après 5 kilomètres sur une piste en piteux état et apprenant que cela va s'empirer un peu plus loin, nous décidons de rebrousser chemin et de nous renseigner au village si un autre moyen existe pour joindre Kalewa, 100 bornes plus au nord. Après une longue et laborieuse enquête le résultat tombe : Labo est une impasse. Aucun véhicule ne s'engage sur cette route périlleuse excepté les taxis 4×4 à 180 euros la course. Merde, un demi-tour de 120 bornes alors que nous sommes à la bourre, c'est vraiment con.
Le soleil tombe, ici non plus il n'y a pas d'hôtel, on doit probablement être les premiers blancs-becs à s'arrêter ici. Et forcément, un flic débarque pour la traditionnelle cérémonie des passeports, mais en dehors des routines habituelles, celui-ci ne nous cause pas trop de soucis, il nous indiquera de dormir sur les bancs de la petite cantine devenue notre QG depuis quelques heures.
12 heures plus tard, les vélos sont solidement amarrés sur le toit du mini-van Toyota. Nous faisons route vers Monywa, un peu blasés de revoir le même film en marche arrière et surtout en accéléré. On ne s'en tire pas si mal avec ce demi-tour express mais on va devoir mettre les bouchées doubles pour arriver à la frontière avant le 25 octobre et donc prendre des transports en commun. À partir de Monywa, nous devrions donc embarquer sur un « river boat » pour (enfin joindre) Kalewa.
Si l'état des axes secondaires est déplorable, il faut aussi savoir qu'en Birmanie on construit les routes sans bulldozer, sans machine, sans électricité. Forcement, 200 kilomètres à bitumer à la main, ça prends un peu plus de temps et quand on arrive au bout de la route, il faut reprendre au début. Nous avons croisé quelques agents de la DDE birmane, généralement de jeunes adolescent(e)s qui accomplissent une tâche difficile en plein soleil dans les vapeurs de goudron bouillant… Allo les Droits de l'Homme ? C'est pas juste, ils devraient être à l'école ces mômes … Ah bah non, c'est pas juste mais quand l'argent est une priorité ou une nécessité, la santé et l'éducation passe bien souvent au second plan.
Après cela, il n'est pas surprenant d'entendre sortir de la bouche des locaux: « Myanmar my country is underdeveloped and we cannot do anything… ». Forcément, ça sonne tout de suite comme une fatalité, une fatalité qui s'est répandu dans tout le pays suite à 50 ans de répression. Et depuis quelques années, avec l'ouverture économique du pays puis avec l'arrivée en masse d'internet, j'ai l'impression que les birmans prennent conscience de leur existence non seulement comme citoyens d'un pays mais aussi comme citoyens du monde. Pour beaucoup, il en découle un complexe d'infériorité face à l'occident et sa « modernité », pour d'autres il y a beaucoup d'espoir même si l'évolution des mœurs et de leurs droits est encore beaucoup trop lente à leurs goûts.
Pour la suite, on embarque demain à 4h00 demain matin… Et on va voir comment s'occuper d'ici là.
Jour 666 - Sortie de secours
Vendredi 24 octobre 2014 - 130 kms - Post n° 540
Barth : Jeudi 23 octobre vers 4h30 du matin. Le chargement de la dizaine de longues péniches est enfin terminé. Quelques coups de klaxons couvrent soudainement le vacarme des moteurs qui mettent les gaz et les embarcations s'élancent ensemble dans la pénombre du fleuve en manquant de peu de se rentrer les unes dans les autres. Nos places adossées au moteur ne nous inspirent pas vraiment. Heureusement il y a le pont supérieur pas entièrement recouvert de marchandises, où nous pouvons nous étendre chaudement habillés pour regarder quelques instants les étoiles tanguer au rythme des lacets du fleuve, avant de sombrer dans un sommeil comateux…
Est-ce le froid ou le bruit des premiers passagers commençant à bouger qui m'a réveillé juste à temps pour apercevoir l'étincelance dorée du premier rayon de soleil ?.. Toujours est-il que ce froid m'engourdit totalement et m'interdit de trouver le courage de me lever pour photographier ce spectacle éphémère, tout autant que de me rendormir pour de bon… Je repense à notre soirée d'hier, à notre rencontre avec Thaik, un informaticien de 45 ans qui nous a généreusement proposé de prendre une douche dans la maison/salle de classe de ses parents, de siroter un coffee mix et de profiter de sa connexion internet pour rendre notre nuit d'attente plus agréable que sur le quai. Mais ce fut surtout une magnifique rencontre avec des birmans curieux, ouverts d'esprit et sans doute plus connectés sur le monde que la plupart des gens que nous croisons sur la route. « I hate tourists, but I really love foreigners ! » Une réplique du père de Thaik, suivie d'un éclat de rire, que nous ne sommes pas près d'oublier ni Fanch ni moi…
Le soleil a fini par réchauffer un peu l'atmosphère sur le pont et à éclairer les falaises limoneuses qui défilent de part et d'autre du bateau, tantôt chapeautées d'une pagode dorée plantée au milieu des palmiers. Je grignote quelques gâteaux achetés sur le marché la veille entouré de nombreux passagers commençant la journée avec une canette de bière ou une chique de bétel adroitement crachée par-dessus la tête des gens qui se faufilent sur la petite passerelle qui déambule autour de la cabine principale. La journée passe ainsi, à contempler le défilement hypnotique du paysage entre deux absences somnolentes, abrités du soleil de plomb par une bâche. Myo Min Thant, un paysan d'une vingtaine d'année qui n'a jamais entendu parler de la France, de Paris, ni même de la tour Eiffel, m'explique être le seul de son village à parler anglais pour la simple et bonne raison qu'il passe son temps libre à bouquiner de la littérature anglaise… Un belle rencontre qui contrebalance le spectacle un peu plus navrant de la bande de jeunes qui descend bières sur bières en plein soleil à quelques mètres, et qui me replonge pour quelques heures encore dans mes pensées au sujet de ce pays que nous nous apprêtons à quitter…
Je revois les ambiances de bistrots que nous avons parfois fréquenté, souvent tenus par des chinois dans les grandes villes, avec la patronne assise devant une table au fond de la salle, face à une assemblée masculine qui s’enchaîne les bouteilles de bières et les scotchs secs ou coupés à l'eau… Et tous ces gamins qui viennent prendre commande en un clin d’œil avant de brailler les instructions en direction de la cuisine tout en surveillant les arrivées et départs des autres clients, le tout avec une dégaine qui donne l'impression qu'il ont trente ans de métier derrière eux. Je me souviens aussi d'une de ces pauses au milieu de nul part, à boire un thé sur le parvis d'une maison qui vend bétel et essence au litre, avec toute la famille absorbée dans un épisode de « Walker Texas Ranger » leur servant une Amérique aussi irréelle qu'obsolète. A l'opposé, au cœur des villes les plus riches, il y a cette nouvelle classe aisée qui consomme le dernier cri du fashion, bercée par les boums boums des festivités nocturnes de la grande kermesse démocratique. La démocratie existe bel et bien en comparaison avec le régime qu'a subi le Myanmar précédemment, mais elle s'exprime surtout par le biais de mercantilismes de tous poils, au lieu d'être un considérée comme un véritable outil de libération. Comme toujours, le survol que nous faisons de toutes ces cultures traversées ne permet pas de pousser l'analyse, mais j'ai ressenti dans ce pays un énorme potentiel, une population en soif de progrès et de changements, et consciente de la nécessité d'entrer en contact avec l'extérieur, de sortir de l'isolement qui les coupe du monde… Mais sans doute trop inconsciente des embûches et des pièges qui menacent leurs traditions, leur patrimoine naturel impressionnant en se tournant les yeux fermés dans vers le dieu de la consommation.
« Kalewa ! Kalewa !.. » Une étrange agitation s'empare de notre bateau à l'approche de cette première escale après 12h de navigation. Pour nous c'est le terminus, et une fois réveillé et ayant retrouvé mes esprits, j'ai tout juste le temps d'atteindre l'avant du bateau où sont stockés nos bagages et vélos avant qu'un incroyable abordage ne se produise. De toutes parts, une trentaine de pirogues viennent de s'arrimer au bateau et une armée de vendeurs, vendeuses, quêteurs.. se répand sur la passerelle déjà étroite, effaçant tout espoir de pouvoir débarquer notre barda sans faire d'acrobaties. On y parvient tant bien que mal et attendons que l'ambiance retombe un peu après le départ du bateau pour gravir la pente boueuse qui permet d'accéder à la route. Du peu qu'on en aura aperçu, Kalewa est un gros village installé autour d'une pagode sur une falaise de terre qui surplombe le fleuve de quelques dizaines de mètres. La lumière de fin de jour, après douze heures d'hypnose, et avec la petite foule de curieux qui sont venus toucher des yeux ou des mains les deux extra-terrestres que nous sommes, rend le moment assez mystique, comme hors du temps. Mais je suis trop groggy et un pas vraiment à mon aise avec toutes les affaires qui peuvent glisser dans le fleuve pour sortir la caméra. Nous n'avons pas vraiment le temps de toute façon, la nuit est en train de tomber et il nous reste une cinquantaine de kilomètres à faire jusque Kalemiu, en tuk-tuk cette fois-ci.
Un visa d'un mois dans un pays étendu comme la Birmanie passe très très vite !… Nous devons passer la frontière demain et avaler en une journée les 130 kilomètres qui nous séparent de Tamu. Une journée marathon donc, sur une route relativement plate et propre et dans une chaleur supportable. Ironie du voyage, c'est le jour où nous sommes le plus pressé que les rencontres se bousculent, comme cet instituteur et son fils qui nous offre le café, Paul, étudiant en anglais qui partage un moment avec nous le temps d'un rapide déjeuner, ou encore ce magnifique système D de générateur hydro-électrique aperçu une fraction de seconde dans un des ruisseaux de bord de route, et qui en temps normal aurait pris place dans notre galerie d'objets libres. Mais c'est ainsi, il faut foncer aujourd'hui et se contenter de survoler cette accueillante vallée, fief de nombreuses minorités chrétiennes si on en croit le nombres d'églises aperçues. Sur notre gauche, une chaîne de montagnes bouche l'horizon et attire notre regard de manière obsédante. C'est l'Inde qui nous attend… On s'est un peu rattrapé ce soir en papotant avec Sai Kyaw Kyaw, le vendeur de crêpes (ressemblant à s'y méprendre à celles de la Bretagne!) et qui nous a donné rendez-vous demain matin pour notre dernier petit déjeuner birman…
L'Inde se fait déjà sentir depuis que nous avons repris la route de Mandalay. Notre saut en train de Yangon à Mandalay nous a enfoncé dans les terres et les paysages traversés ces derniers jours ont totalement changé. Palmiers, cactus, eucalyptus et autres grands et vieux arbres qui bordent et ombragent la route, on commencé à remplacer la jungle luxuriante. Un air plus sec, le lit sableux des rivières asséchées et la diversification des cultures nous font comprendre que nous avons changé de climat et la présence croissante de ces grandes vaches blanches me rappellent l'Inde sans avoir jamais y avoir mis les pieds… Nous avons passé aujourd'hui le tropique du cancer. Après une grosse demie-année en zone tropicale et équatoriale, l'abordage de ce nouvel environnement me procure la même sensation qu'à la sortie du Sahara, à la frontière sud de la Mauritanie.. D'un seul coup on se souvient avec autant de surprise que d'évidence et de soulagement que le monde est changeant, qu'il y a une porte de sortie dans l'aquarium moite et étouffant que nous explorons depuis un bon moment.. Et ça fait du bien ! Avec un peu d'altitude, une soirée aérée par un vent frais c'est aussi bon qu'un rayon de soleil en plein hiver. Mais je ne m'enflamme pas, il fait encore bien chaud le jour et des bulles tropicales se cachent certainement au détour d'une vallée mal ventilée. C'est juste l'appel du continent, des plaines, des montagnes et des déserts qui nous attendent, qui s'est fait entendre très discrètement…
Jour 667 - Déjà l'Inde...
Samedi 25 octobre 2014 - 10 kms - Post n° 541
Fanch : On est bien, la Birmanie est derrière, l'Inde devant. Le moment est idéal pour saluer une dernière fois le peuple birman, je le remercie pour ses sourires sincères par centaines. Je lui souhaite aussi du courage pour affronter ces prochaines années qui vont être déterminantes pour le développement du pays. Il y a beaucoup à faire, ce qui veux dire que tout est possible mais aussi que c'est maintenant qu'il faut agir pour un avenir meilleur. Plus facile à dire qu'à faire ? Certainement (tout est plus facile à dire qu'à faire de toute façon) mais en se reposant sur l'exemple de la communauté Linux Myanmar et de ce qu'elle accomplit depuis 5 ans, on se dit encore une fois que tout est possible, il faut simplement y aller de bon cœur et en douceur. Mais en tant que voyageur, c'est aussi sans nostalgie que je quitte le Myanmar, ce pays où il est difficile de se déplacer en dehors des sentiers balisés, où malgré un dépaysement réel et bienfaiteur, je ne me suis finalement pas senti à ma place. Mais l'aventure continue, l'Inde promet d'être haute en couleurs…
Déjà, le passage de frontière se démarque des précédents. Les deux gardes indiens, après avoir pris notre température (dispositif ebola) nous ordonnent de déclarer nos véhicules aux douanes, un imposant bâtiment suréquipé mais complètement vide. Hello (écho) ? Namaste (écho) ? Il est efficace le système douanier Indien !!! On passe donc directement à la case immigration pour y faire tamponner nos passeports, le bureau est situé plus loin au village et nous mettrons un certain temps à le trouver. Là encore, personne, l'officier prend son petit déjeuner. Alors on patiente, hors de question de partir d'ici avec un visa non validé. 20 minutes plus tard, l'affaire est pliée puis nous ferons finalement une autre ultime halte dans autre bureau de douane, habité ce coup-ci avant de négocier pour repasser en Birmanie par un autre poste frontière (interdit aux étrangers) pour changer nos derniers kiats Birmans en roupies Indiennes. Puis enfin, après la phase administrative arrive celle de l'observation, nous prenons repos sur le banc d'une petite cantine, commandons notre premier chapati, tournons la tête à gauche, à droite… Nous y sommes, nous sommes en INDE!
Barth : Passer une frontière est toujours un moment symboliquement fort au cours de notre avancée, mais je dois avouer que je ne suis pas prêt d'oublier notre arrivée en Inde. Nous entrons par une petite porte, loin des autoroutes touristiques et en débarquant dans cette région du Manipur coupée du cœur de l'Inde par le Bangladesh, je ne m'attendais absolument pas à un changement aussi radical. Moreh est une toute petite ville coincée entre la frontière birmane et une chaîne de montagne qu'il va nous falloir traverser en minibus pour ne pas perdre trop de temps. Les vélos sont chargés sur le toit du van, notre chauffeur attend d'éventuels passagers supplémentaires pour prendre la route, c'est le moment que choisi Mithun pour nous aborder avec un enthousiasme à peine atténué par la sieste dont il vient de sortir en apercevant nos vélos depuis la fenêtre de sa chambre d'hôtel. Mithun a la trentaine, il vient du sud de l'Inde et il est ici en repérage pour son activité d'organisateur d’excursions à vélo. Inutile de dire que le courant passe tout de suite très bien, d'autant plus qu'il semble que nous ayons des amis en communs en plus de pas mal de centres d’intérêts. Une rencontre improbable qui nous donne le ton de notre séjour en Inde ! Nous avons juste le temps de boire un tchai ensemble et d'échanger nos contacts en se donnant rendez-vous prochainement quelque part en Inde avant que notre chauffeur ne nous fasse signe qu'il est temps de prendre la route…
Pas d'autre passager finalement, sinon ce type alcoolisé qui sort des funérailles d'un de ses amis et avec qui nous avons tout le loisir de sympathiser durant la longue et sinueuse route, au fur et à mesure qu'il dégrise, le froid de l'altitude aidant. Notre chauffeur ne s'attendait sans doute pas à passer autant de temps aux innombrables checkpoints militaires où nous devons montrer patte blanche. Il faut dire que les touristes sont rares ici et notre présence attise la curiosité des militaires qui tiennent tout autant à entendre notre histoire qu'à appliquer le protocole de contrôle qui s'applique sur la narco-route que nous empruntons… Nous arrivons finalement à Kakchin avec la nuit qui tombe une heure plus tôt, et le temps de poser notre barda dans une petite guest house il est déjà trop tard pour trouver un restaurant encore ouvert. Le dîner sera donc composé de chips et de gâteaux secs, pas terrible pour une première soirée en Inde, mais on se rattrapera bientôt !