Thaïlande
Distance parcourue : 305 kms
Durée : 29 jours
Date d'entrée : 2014-08-31
Date de sortie : 2014-09-28
Jour 613 - Convalescence Bangkokoise...
Lundi 1 septembre 2014 - 0 kms - Post n° 524
Barth : Samedi 30 août. C'est aujourd'hui que nous allons passer la frontière. La nuit fut calme pour une zone urbaine, j'ai pu récupérer de la nuit blanche de la veille et le petit déjeuner est vite trouvé à la même cantine indienne qui n'a pas fermé de la nuit… Pour Fanch c'est une autre histoire, il a très mal dormi et se sent fiévreux.. Peut-être que les 100 kilomètres d'hier ne sont pas bien passés avec sans doute un peu de déshydratation. Quoi qu'il en soit ce serait idiot de rester bloqués ici, on décide donc de rejoindre la frontière au plus vite et d'aviser là-bas en fonction de l'évolution de sa santé. Il n'y a pas de soleil mais ça grimpe un peu, une quarantaine de kilomètres qui se termine en calvaire pour mon pauvre coéquipier. Les cachets de paracétamol et les pauses que nous faisons n'y suffisent pas, la fièvre ne semble pas se calmer, bien au contraire…
Le passage de la frontière se fait rapidement, et nous filons directement à travers la petite ville de Padang Besar pour y trouver la gare… Les choses se compliquent alors, nous ne sommes plus en Malaisie, personne ne parle anglais ici et il semble que la gare n'existe pas… Il est midi, le soleil cogne maintenant et Fanch est en train de tourner de l’œil. Retour au poste frontière où les douaniers thaïlandais intrigués par nos montures nous avaient proposé leur aide si nous trouvions pas. Ils nous conduisent alors en voiture à une petite agence où nous pouvons acheter les billets de train et repérer le quai désert où nous pourrons embarquer en fin d'après-midi… Ouf !
Après avoir mangé un peu, Fanch installe son hamac à l'ombre dans l'enceinte du poste frontière tandis que je papote un peu avec un des douaniers qui est passionné de vélo. Nous avons le temps de souffler, de nous laver un peu et de préparer nos bagages pour la nuit de train qui nous attend, mais je commence à m’inquiéter de plus en plus pour la santé de mon ami. Nous serons dans 24 heures à Bangkok, j'espère qu'il va tenir le coup jusque là. Bon gré mal gré, il trouve la force pour un dernier coup de pédale jusqu'aux quais de la gare. Après une étrange magouille qui me fait traverser la frontière clandestinement dans l'autre sens en suivant les voies ferrées pour me procurer les tickets pour nos vélos à la vraie gare, nous n'attendons plus longtemps avant de pouvoir enfin charger les vélos et nous installer dans le train juste avant la pluie… A partir de là, je sais que le plus dur est fait, Fanch peut s'étendre au frais sur sa couchette et tenter de dormir entre deux pics de fièvre en attendant Bangkok.
Nos voisines thaïlandaises sont des lèves-tôt et ne savent pas vivre sans parler et encore moins en chuchotant. Je pense à Fanch qui doit halluciner dans ses rêves fiévreux en entendant une nouvelle langue rythmée par les vibrations du train. L'arrivée sur Bangkok est interminable. Il est midi passé quand nous posons nos vélos dans un coin de la gare où Fanch peut rester allongé pendant que je m'occupe de contacter notre assurance pour savoir vers quel hôpital se diriger. L'affaire n'est pas aussi simple que je le pensais… Impossible de passer des appels internationaux dans le quartier de la gare, la plupart des cybers-cafés sont fermés le dimanche et quand je trouve finalement une connexion wifi dans un bar c'est pour réaliser que le numéro d'urgence qui figurait sur nos cartes d'assurés à changé et pas moyen d'avoir une seule information sur leur site internet. Il est 15 heures, je sens la colère me monter au nez, la fatigue me pèse à moi aussi et je suis inquiet pour Fanch dont l'état est vraiment de plus en plus alarmant. Au moment d'envisager de simplement appeler une ambulance et d'avancer tous les frais, le cyber café de la gare ouvre, et avec l'accord de Fanch qui me dit que « quand même ça va.. » avec des yeux rouges qui en disent long, je prend un peu plus le temps de fouiller et finis par mettre la main sur nos nouvelles cartes en pièces-jointe d'un vieux mail. A partir de là tout va très vite, je parviens à joindre l'assurance, j'ai le nom d'un hôpital, et j'ai même une réponse d'Etienne et Emmanuelle, des amis d'ami d'ami chez qui nous allons pouvoir nous débarrasser de nos encombrantes montures. Le temps de négocier avec deux tuk-tuks pour y charger les dîtes montures, de faire la route jusque chez nos sauveurs, de boire un rafraîchissement dans le calme de leur jardin et nous nous engouffrons enfin dans un taxi en direction de l'hôpital…
Un peu d'attente, un coup de fil à l'assurance, et je retrouve Fanch perfusé, installé dans un fauteuil roulant qui le conduit jusqu'à sa chambre… Fin de la partie, je respire enfin un peu, en attendant de connaître le diagnostic officiel même si nous soupçonnons tous les deux une bonne dengue. L'assurance m'a réservé une chambre d'hôtel pas très loin, j'abandonne donc Fanch aux mains d'une armée de nurses thaïlandaises qui parlent anglais avec un appareil dentaire et un masque sur le visage pour la plupart, et je file me reposer un bon coup après toutes ces émotions !
Le lendemain le diagnostic tombe tôt, il s'agit bien de la dengue, l'hospitalisation va donc durer quelques jours au minimum. Je profite de l'impressionnant buffet du petit déjeuner avant d'aller rendre visite à Fanch qui a le moral, malgré son épuisement physique. La climatisation polaire de l'hôpital nous inspire un petit chocolat chaud avec cookies, bien loin des cartes postales culinaires de ce pays réputé pour sa gastronomie, mais de toute façon Fanch va devoir attendre encore un peu avant d'expérimenter les padtaïs et autres tomyams qui pullulent à tous les coins de rues… De mon côté, je vais profiter de ce temps libre et de ce confort pour me reposer bien sûr, mais aussi pour avancer sur le boulot et préparer tout ce que je peux pour gagner du temps dans nos demandes de visas à venir. Affaire à suivre…
Jour 615 - En direct du Samitivej Hospital
Mercredi 3 septembre 2014 - 0 kms - Post n° 525
Fanch : Nous sommes à Bangkok, la Malaisie, c'était il y a quatre jours et là, maintenant, tout de suite, je suis à l'hôpital. Je reprends donc un peu plus bas sur la carte, remonte dans le temps pour récupérer le fil de l'histoire.
Nous nous réveillons à l'entrée de Kangar, dernière ville de notre itinéraire Malais. Il est 6h30 et si mes souvenirs sont bons, c'est en repliant ma tente dans l'obscurité précédant les premières lueurs que je lance à mon compagnon de route « Barth, je crois bien que j'ai de la fièvre », il me rétorque après un court moment de silence, « Merde, fait chier ». « Merde, fait chier », parce qu'il est trop tôt pour ce genre de nouvelle, mais surtout parce que nous savons tous les deux qu'une fièvre en zone tropicale, ce peut être tout et n'importe quoi… Et que nous n'avons guère d'autre choix que de rejoindre à vélo le poste frontière situé 50 kilomètres plus au nord. Si l'on ajoute à cela une petite dose d'incertitude concernant le transport des bécanes dans le train plus une légère touche de stress liée au passage de frontière… Le « Merde, fait chier » à six heures et demie du matin est largement justifié.
Je roule péniblement, mais sans (trop) broncher, les bornes obligatoires alors qu'à chaque kilomètre le paysage s’embellit. Rizières et collines se succèdent aux champs de palmes mais je n'ai pas vraiment le cœur à apprécier le changement. Barth est à quelques mètres derrière, il garde un œil sur moi. J'ai faim mais suis incapable de manger. Malgré une chaleur intense, je grelotte allègrement, les signes ne trompent pas, la fièvre s'accentue. J'en suis quasiment certain maintenant, j'ai bel et bien chopé une saloperie…
Ça y est, le poste frontière se dévoile enfin. Ça passe sans attente ni accrocs. Encore une fois, nos vélos font bonne impression et l’immigration thaïlandaise nous accueille à bras ouverts. Je me force pour causer et pour garder le sourire devant l'enthousiasme des officiers mais ces gars là sont vraiment sympathiques et ils nous inspirent confiance. Ils vont d'ailleurs considérablement nous aider à trouver la gare ferroviaire de Padang Besar, une gare fantôme située dans une petite ville qui au premier abord n'est pas des plus accueillantes. Ils nous proposeront dans la foulée un moment détente et un brin de toilette au poste frontière en attendant le départ du train. Je tends donc mon hamac entre un palmier et un lampadaire grinçant et c'est à partir de ce moment précis que je lâche prise sur la réalité, laissant à Barth en toute confiance, la tâche de nous emmener jusqu'à Bangkok.
On en a pour 20 heures mais le temps ne compte plus. J'ai mal aux reins, aux jambes, au crâne, je veux juste m'allonger et m'emmitoufler dans mon sac de couchage. Au diable l'écriture, au diable Geocyclab, j'ai froid et je veux dormir c'est la seule chose qui m'importe à présent. Nous y voilà, les machines de la locomotive se mettent en route alors que j'avale mes deux derniers cachetons de paracétamol… Je m'allonge, la douleur s'estompe, les lumières de la nuit m'enveloppent et les cliquetis métalliques du train accentués par la fièvre m'accompagnent pour un voyage psychédélique. Il n'y a plus rien de réel excepté Barth qui du haut de sa couchette, veille sur moi. A cet instant précis c'est la seule chose rassurante et je me dis Ô combien c'est soulageant de ne pas être seul.
Terminus, j'émerge en gare de Bangkok pour me recoucher quasi instantanément auprès des vélos dans un coin du hall où s'agite une foule internationale. Je prend tout de même le temps d'observer d'un œil engourdi mon nouvel environnement et trouve tout juste la force d'analyser ces nouvelles odeurs, nouveaux sons, cette nouvelle langue. Je ferme les yeux. Comme pour nous souhaiter la bienvenue, une courte ritournelle incompréhensible résonne inlassablement dans l'immense hall de la station, j'écoute les clapotis des talons aiguilles qui d'un pas déterminé traversent en diagonale l'antichambre de la gare. L'espace est saturé de bruits qui doucement se transforment en une nappe sonore homogène, un brouhaha linéaire. Sonné, je me rendors. Barth de son côté s'active pour tenter de débloquer la situation, il cherche en vain à joindre l'assurance. Deux heures plus tard et non sans difficultés, il parvient à ses fins et dégote l'adresse d'un hôpital affilié. Je sens la fin du calvaire approcher, lentement, il ne nous reste plus qu'à trouver un moyen de transport pour les bécanes. Un tuktuk (tricycle à moteur) par vélo, ça va secouer et les pédaliers vont certainement dépasser un peu mais l'option paraît faisable et de toute manière nous n'avons guère le choix. Encore une fois, c'est mon coéquipier qui gère, je me contente de m'accrocher aux barrières métalliques de l'engin à moteur. On file à toute berzingue chez Étienne et Emmanuelle que Barth connaît déjà, pour se débarrasser du matos qui dans ces conditions est davantage encombrant qu'autre chose. Et puis, c'est direction l'hôpital. Ça y est, enfin, après 48 heures de lutte et de galère, je suis hospitalisé jusqu'à nouvel ordre. Je pousse un « ouf » de soulagement. Puis le diagnostique tombe… C'est bel et bien la dengue, on ne peut pas dire que c'est une bonne nouvelle mais au moins, nous savons à présent que le pire est derrière nous (enfin j’espère).
Barth est hébergé dans un hôtel aux frais de l'assurance non loin de l’hôpital et il vient régulièrement me rendre visite. Léa et Cora, amies françaises, m'ont elles aussi honoré de leur présence hier après-midi. Sympa les filles, c'est très classe ça, de la visite dans un hosto à l'autre bout du monde !!! Le reste du temps, je le passe à dormir, je n'ai pas la force de faire grand chose d'autre pour le moment. Ma fièvre reste coriace, aujourd'hui je pense d'ailleurs avoir frisé les 41 degrés (je n'ai pas réussi à savoir exactement). J'ai senti une petite brise de panique souffler dans ma chambre quand deux infirmières m'ont expressément couvert le corps de linges humides et glacés afin de faire redescendre la température. C'est bon, ça va mieux mais le médecin s’inquiète et je suis bon pour d'autres analyses. En fin de journée, on m'informe que j'ai choper une infection pulmonaire… On me rebranche la perfusion et je reste consigné dans mes quartiers pour une durée indéterminée. C'est reparti pour un tour ! La suite au prochain épisode…
Jour 619 - Bilan malaisien...
Dimanche 7 septembre 2014 - 0 kms - Post n° 526
Fanch : Avant que les premiers symptômes de la dengue ne fassent leur apparition, mon intention était de profiter des nombreuses heures de train pour écrire quelques lignes sur la Malaisie, un résumé personnel de ce séjour relativement long dans un pays peu connu mais qui m'aura fait profondément réfléchir. Je profite donc du calme de l'hôpital pour m'attaquer, un peu tardivement, à cet exercice d'écriture.
La première chose qu'on se dit en arrivant à Kuala Lumpur avec des vélos chargés c'est « Ah ouais, je n'imaginais pas ça comme ça, n'y a-t-il que des voies express dans cette ville ? » On retourne aux États-Unis, dans une cité qui s'étend au delà de l'horizon, agencée pour la voiture avec un réseau routier ultra développé qui zigzague entre une imposante architecture verticale. La deuxième chose frappante quand on débarque ici se trouve être la multi-ethnicité de la population malaisienne et au premier abord c'est plutôt fascinant d'observer toutes ces cultures évoluer côte à côte. Alors immanquablement, cette première vision me pousse à considérer Kuala Lumpur comme le Los Angeles de l'Asie du sud est. Mais nous sommes de l'autre côté du globe et il faut donc prendre en compte quelques points importants qui bien sûr changent considérablement la donne.
L'UMNO est le parti politique qui tient les rennes du pays depuis l'indépendance (la Malaisie est une ancienne colonie anglaise). Sa doctrine fondamentale s'appuie sur le « Ketuanan Melayu » : une idéologie selon laquelle les malais ethniques, considérés comme ipso facto musulmans, sont le peuple premier définissant l’identité de la Malaisie et qu’ils sont donc bénéficiaires d’un statut et de privilèges particuliers. C'est déjà contraire au bon sens car les « Orang Asli » (indigènes) vivaient dans la péninsule malaise bien avant l’arrivée des malais musulmans au 14ème siècle. J'ajoute qu'ici, l'amalgame entre culture traditionnelle et culture islamique est aisé car personne ne parle du peuple indigène, ce qu'il y avait « avant » a tendance à être caché aux yeux des curieux comme si l'histoire de la Malaisie avait débuté il y a 700 ans.
Les bases du ségrégationnisme sont donc solidement posées, le ton est donné. Le régime politique restrictif et conservateur et fortement influencé par le dogme islamique. La constitution de ce pays est d'ailleurs « augmentée » par la charia (cours de justice religieuse) ce qui inévitablement à des répercussions sur les populations non musulmanes (environ 40%). Comme je l'ai déjà souligné auparavant, le citoyen malaisien est systématiquement catégorisé, il reçoit dès l'âge 12 ans une carte d'identité sur laquelle sont inscrits ses caractéristiques ethniques et religieuses. À vrai dire, l'un ne va pas sans l'autre, ici tu ne choisis pas de suivre une religion par affinité culturelle ou spirituelle, tu viens au monde avec. Si tes ancêtres étaient chinois? Tu seras bouddhiste. Indien? Tu sera sikh ou hindouiste. Malais? Tu suivras les écrits du Coran. Il est utile de préciser que selon le code de la charia, il est strictement interdit aux musulmans d'apostasier et qu'une tierce personne qui tentera « d'embobiner » ou de détourner un musulman du « droit chemin » s'expose à de lourdes sanctions, à savoir, un an de prison ferme et une amende bien salée… Alors oui, c'est cool de pouvoir alterner entre le resto chinois, le boui-boui malais ou le curry de la cantine indienne (les malais sont d'ailleurs très fiers de leur culture culinaire). C'est plutôt chouette de constater que la plupart des jeunes parlent deux ou trois langues couramment et que l'anglais est le langage qui permet à tous de se comprendre. Mais il faut aussi se dire que derrière ce véritable potentiel culturel, le terrain politique instable en matière de « vivre ensemble » n'est évidemment pas sans incidence sur la société. Et la Malaisie est un exemple de plus qui vient confirmer que l'humain est incapable de concevoir l'existence d'une société multi-ethnique fonctionnant sur les principes de tolérance et d'égalité.
Au delà des questions religieuses et culturelles, il y a une autre réalité marquante sur laquelle je ne peux/veux pas faire l'impasse. La Malaisie est en plein boom économique. « La crise ? Non, on ne connaît pas ça ». Ici, ça construit frénétiquement à la verticale et les villes s'étendent sans limites. « Limite ? Ah, ça non plus on ne connaît pas ». Pas de limite quand il y du pognon en jeu. Il n'y a qu'à voir les dégâts engendrés par l'industrie de l'huile de palme sur les forêts primaires pour s'en rendre compte et encore une fois, cela n'est qu'un exemple. Oui c'est vrai, les tours Petronas qui s'élèvent jusqu'aux cieux telle une gigantesque cathédrale gothique, sont majestueuses, une oeuvre architecturale hors du commun mais elles sont aussi et surtout le symbole de ce que je déteste le plus au monde. Le profit à tout prix, le profit par la destruction du patrimoine naturel et humain. Et finalement, le pognon et les paillettes deviennent une obsession pour tous, un but ultime. Et le plus triste dans cette histoire c'est que cette « maladie moderne » gangrène toute les couches de la société, sans exception…
Alors ma conclusion personnelle… En fait je vais vous dire la vérité. La Malaisie n'est qu'un pays parmi d'autres qui est à la fois acteur et victime de la folie du développement économique à la mode asiatique. On nous avait prévenu mais ça ne m'empêche pas de tomber de haut et de me faire mal… Désillusion.
J'aimerais vraiment dire que le monde est beau et tout et tout, mais je suis tout simplement attristé de découvrir un monde irraisonné, irresponsable qui (selon moi) concentre la majeure partie de ses efforts à créer de faux problèmes au lieu de tenter de résoudre ce qui merde vraiment. Je m'interroge de plus en plus sur l'avenir des prochaines générations, si ça continue ainsi, ils ne vont pas se marrer nos mômes, je dirais même plus, ils risquent d'en baver… Je suis désemparé de constater que la plupart du temps l'individu ne sert que ses intérêts privés et qu'en dehors de la famille, le concept du collectif n'est en fait qu'une belle illusion. Je réalise tout simplement que « le Monde » est une gigantesque utopie. Pourquoi ne savons nous plus écouter les sages ? Non, je ne déprime pas, je réalise c'est tout. Maintenant plus que jamais, l'éducation est une priorité, la transmission de la culture du savoir et de la connaissance va devenir notre combat.
Certains vont penser que j'en dis trop ou pas assez… Effectivement, j'aimerais davantage développer, mais le bouquin on l'écrira plus tard (pour le moment on a pas mal de pain sur la planche). Je prends juste le risque de partager à chaud ce qui me trotte en tête et ça part parfois en vrille (oups). Malgré tout, la beauté est omniprésente, si parfois elle ne se dévoile pas immédiatement, c'est peut-être parce que nous attendons le spectaculaire et le grandiose. Et si elle persiste à se cacher, il suffit simplement de se donner les moyen de l'inventer, ce n'est pas si difficile, ça permet de garder le sourire…
Allez, sur ces belles paroles, une infirmière vient de m'arracher une bonne touffe de poils avec le catétaire planté dans ma main gauche depuis une bonne semaine. Barth va arriver d'un instant à l'autre, c'est donc l'heure de quitter l'hôpital et ça c'est une sacrée bonne nouvelle.
Jour 626 - Nouvelles de Bangkok
Dimanche 14 septembre 2014 - 10 kms - Post n° 527
Barth : Le temps file à toute allure et les journées se ressemblent beaucoup dans notre séjour Bangkokois… L'épisode de la dengue n'est plus qu'un mauvais souvenir, surtout pour Fanch car de mon côté j'ai pu bien profiter des luxueuses nuits d'hôtel que notre assurance a pris en charge ! Je garderai un souvenir mémorable d'un de ces hôtels, une tour de trente étages plantée au cœur d'un des quartiers chauds de Bangkok, à quelques pas d'un hôpital halal et recevant donc une clientèle issue de tous les pays musulmans du monde. Étrange sensation d'avaler son petit déjeuner entouré de femmes en burqas dans un quartier où la tenue de rigueur féminine (et bien souvent masculine) est une mini-jupe et un débardeur flashy…
Une fois guéri et sorti de l’hôpital donc, Fanch m'a rejoint pour deux ou trois nuits à l'hôtel, le temps de se réadapter un peu au monde réel et nous avons ensuite posé notre camp chez Etienne et Emmanuelle, des français amis de Clément, un autre français que nous avions rencontré à Jakarta. A partir de là, un rythme assez casanier s'est installé dans l'attente de nos visas indiens et pour que Fanch reprenne un maximum de forces avant de retrouver la route. La maison de nos amis se trouve un peu à l'écart de la station de métro Nana, qui porte bien son nom puisque c'est un des endroits de Bangkok où la vie nocturne bas son plein dès dix heures du matin. Lady-boys et autres armées de masseuses font ici leur beurre sur le dos des touristes mâles célibataires venus du monde entier pour s'offrir un peu de bonheur à la mode thaï.. Et toujours cet incroyable anachronisme entre les burqas qui flânent au beau milieu des étals de sex-toys, en quête d'une paire de sandales à paillettes ou d'un sac à main Louis Vuiton made in china. Crazy city !
Heureusement notre maison d'accueil est un havre de paix dans ce capharnaüm. Nous profitons donc du calme en journée pour avancer sur le boulot, avant le retour d'école d'Hugo et Octavie suivis de près par leurs parents avec qui nous avons chaque jour le plaisir de partager le délicieux dîner préparé par Tukta, l'adorable nurse !.. Une vie d'expats donc, et de passionnantes discussions avec Emmanuelle et Etienne, à propos de leurs séjours passés en Indonésie ou en Afrique, de la situation du monde vue depuis leurs activités entre sociétés pétrolières et chambre de commerce franco-thaï.
Côté boulot, beaucoup de choses ont avancé et nous sommes presque à jour ! L'épisode du visa indien nous a donné du fil à retordre.. Pour ceux qui ont déjà eu le bonheur d'expérimenter les démarches administratives en vue d'un séjour en Inde, je ne vous apprendrais rien en vous disant que rien n'est simple. Mais quand les informations qui figurent sur le site internet ne sont pas à jour, ça donne presque des envies de meurtre… La mauvaise nouvelle donc, c'est que nous ne pouvons pas obtenir depuis l'étranger le visa de six mois multiple entrées sur lequel nous comptions, il va donc falloir se contenter d'un visa de trois mois, qui va démarrer dans quelques jours.. En sachant qu'il nous faut bien un gros mois pour atteindre la frontière indienne, il ne devrait alors nous rester q'un mois et demi pour faire les trois ou quatre mille kilomètres prévus.. Visa-run en vue donc, dépenses supplémentaires et temps perdu.. Youpi !
Pour le reste, la collecte sur Ulule qui stagne un peu après un démarrage impressionnant, nous prend toujours un peu de temps, il y a eu aussi beaucoup de communications pas toujours très claires avec notre assurance pour gérer le dossier d'hospitalisation de Fanch, les demandes de visas donc avec le florilèges de petites démarches qui les accompagnent, et la réception de notre ancien ordinateur en France qui pose un problème avec les douanes (heureusement Anaïs est sur le coup !) Nous avons trouvé le temps de postuler au concours de photos de voyage Libération-Apaj dans l'espoir de toucher un peu d'argent, nous sommes aussi passés à la radio, sur l'émission Allo la Planète pour donner un peu plus de visibilité à Geocyclab. Et le reste du temps, encore pas mal de rattrapage au niveau du montage des vidéos avec deux nouveaux Objets Libres, deux Haïkus, et une installation artistique datant du Mexique que vous pourrez découvrir dans les jours qui viennent sur le site ! Et JB le frère de Fanch, s'est remis à fignoler notre carte OSM, avec maintenant un compteur kilométrique total, visible sur la page d'accueil du site, ou par pays, dans la rubrique Itinéraire ! Nous fûmes surpris de constater que la barre des 10000 kilomètres n'avait pas encore été franchie, mais ce sera chose faite dans les semaines qui viennent !
Sans doute le fait d'avoir passé beaucoup de temps dans les capitales asiatiques (Jakarta, Kuala Lumpur..), l'envie de visiter Bangkok ne nous obsède pas vraiment et les quelques sorties avec nos amis suffisent à nous aérer, comme cette balade à vélo avec les enfants avec pique-nique libanais au parc de la Reine… Nous allons reprendre la route dans quelques jours, en espérant que le début de la saison des pluies nous laisse un peu de répit et que le jonglage entre les durées de nos visas ne nous fasse pas perdre trop de temps..!
Jour 633 - Bye-bye Bangkok
Dimanche 21 septembre 2014 - 10 kms - Post n° 528
Fanch : L'hosto fût mon premier contact avec la Thaïlande. Après un séjour sous perfusion, condamné à regarder les mêmes tours durant sept jours depuis la fenêtre d'une chambre blanche aux odeurs de Bétadine, je renifle enfin le smog chaud et étouffant de la mégapole. Et oui, je me sens perdu comme si je débarquais d'un Boeing A380 venu tout droit d'Europe, pris d'un étrange sentiment de dépaysement avec l'excitation du premier jour du voyage en moins. Alors que je commençais a baragouiner quelques mot de malais, je me retrouve confronté à une nouvelle langue, tonale cette fois et accompagné d'un alphabet que l'amateur de divertissements fantastiques pourrait facilement qualifier d'elfique. La nourriture est aussi différente (je retrouve peu à peu l'appétit), avec coriandre et piment à volonté, des odeurs non identifiées, du bruit, beaucoup de bruit, des rue bondées, un nouveau paysage, je débarque après un break aseptisé et j'ai besoin d'un peu de temps pour me remettre dans le bain. Barth au contraire n'a pas l'air de s'être déshabitué au rythme à la fois studieux et effréné du quotidien. C'est aussi son second séjour ici, il a repéré les lieux, quelques noms de plats locaux, une cantine aux tarifs abordables, sur les rive d'une ruelle embouteillée.
Enfin, je me suis remis au boulot à mi-temps, encore un peu secoué par l'épisode dengue, j'ai d'ailleurs toujours besoin de ma petite sieste quotidienne. Mais petit à petit, je retrouve le rythme de Geocyclab, écriture, mail, questions administratives, enfin depuis le temps, vous commencez à connaître le refrain, on se retrouve de nouveau en mode « boulot dodo ».
Et quand on travail, on a pour réflexe de repérer une « cantine ». En gros, pour faire notre sélection, la première chose qui importe c'est le rapport prix/distance, la qualité passe au troisième plan, c'est bien ce qui défini le terme de cantine. Le sourire du personnel n'est pas nécessairement un critère important mais à partir du moment ou il nous reconnaît, l'ambiance devient rapidement cordiale et peut être que c'est aussi pour ça que nous aimons « nous fidéliser », pour le sourire en plus! Enfin bref, notre cantine se situe à dix minutes de la maison d'Etienne et d'Emmanuelle, sur Sukumvit, à la frontière d'un quartier meublé d'hôtel pour émirats et de la zone très chaude de Nana.
Nana, c'est en fait le nom de la station de métro aérien qui dessert entre autre la Soy 4, rue que nous traversons chaque midi, réputée pour ses salons de massage douteux et ses « lady-boys » à talon aiguille. À la fois étonnant et pathétique, le coin attire toute une tribu d'occidentaux sexagénaires nostalgiques de leurs succès perdu qui tente d'acheter le temps à coup de biftons magiques. On y croise aussi quelques petits groupes de jeunes blancs-becs aux accents divers et variés mais surtout au porte-feuille bien rempli qui viennent ici se rincer l’œil et/ou mettre à l'épreuve leur libido avec 3 grammes dans le sang, ça trinque à la Carlsberg sur les terrasses des bistrots et ça braillent sans pudeur comme si ces gens là étaient fiers de confondre un bar à pute avec un éden sans égal.
Non loin de là, de l'autre côté de Sukumvit il y a donc ce quartier de la Soy 1 et 3 ou les épices thaïes laisse place au odeurs de chich kebab et de cumin. On y croise des visages varié, du golf persique, d’Afrique du nord ou d'Arabie Saoudite venus pour affaire sinon pour goutter à l'atmosphère Bangkokoise. Djellaba, ghotra et moustache sont de coutume. Quand au femmes? La grande majorité se cache tristement derrière un voile sombre. Certaines laissent leurs visages transparaître mais d'autres reste entièrement dissimulées sous un tissu sans forme jusqu'à inventer d'étranges accessoires pour manger en public. Adieu couleurs chatoyantes et accessoire de beauté, ici le noir est à la mode.
Une triste mode qui au croisement de Sukumvit et de la Soy 4 se heurte aux vendeurs ambulant de sex-toy, aux bas-résille et aux décoltés plongeant. La première est en burqa alors que la deuxième, en mini jupe, caresse la nuque d'un touriste pour gagner sa croûte. Deux extrêmes s'entre-choc, boum-badaboum, croyances, valeurs et tabous, sont tout d'un coup chamboulée . À tort plus qu'à raison, je m'aventure parfois à imaginer ce qui se passe dans la tête de ces deux femmes quand elles se croisent sur un bout de trottoir trop étroit pour garder distance. À tort plus qu'à raison puisque je n'en déduit absolument rien. En voilà une curieuse cohabitation mais qui ne semble pas exaspéré les esprits (au premier abord), ni d'un côté ni de l'autre. Est-ce un signe de tolérance? Je ne sais pas, parfois bien des choses m'échappent…
Il ne nous reste que peu de temps avant de reprendre la route. À l'ordre du jour du vendredi 19 septembre: Les courses! Super, on adore… Mais nous avons réellement besoin d'un nouveau disque dur (on est accro à la sauvegarde) d'un micro cravatte pour les interviews (les anciens ont disparu avec mon sac à Kuala Lumpur) et de remettre à jour notre trousse à pharmacie. En revanche c'est aussi l'occasion de changer de quartier et de découvrir le Bangkok de la consommation à outrance. Bienvenue à Gataca… Non, Bienvenue dans le quartier du Central World Plaza ou nous arpentons le « skywalk », une voie pédestre suspendu au métro aérien slalomant entre les écrans LED géants et qui dessert une multitude de malls (énormes centre commerciaux sur-climatisés dont les asiatiques raffolent). « Bientôt, il y aura le monde d'en haut, celui du skywalk, et le monde d'en bas, celui des petites échopes et des barbecue de rue » m'a dit Etienne après coup. Et paf, je me retrouve plongé dans l'univers de Moebius qui avec ce type de métaphore laissait envisager la disparition de la classe moyenne. Ne nous inquietons pas, à Bangkok, il y a des coins ou nous y sommes presque… À méditer. De retour « à la maison » nous prenons part à une visio-réunion avec nos amis de Biji Biji Initiative. Nous nous y attendions un peu mais il semblerait bien que du boulot (rémunéré) qui nous attend en Malaisie à l'occasion du festival Urbanscape en décembre prochain. Nous allons donc probablement nous payer un aller retour pour revoir notre bande d'amis degentés de Kuala Lumpur et par la même occasion, renflouer les caisse de Geocyclab. Affaire à suivre, on vous tiendra au courant.
Finalement, nous parvenons à nous accorder une journée pour souffler un peu. Emmanuelle et la petite Octavie nous embarque au salon de massage pour un baptême qui tombe à pic avant la reprise de l'exercice physique. Puis nous rejoignons Étienne et Hugo pour une ballade en bateau- bus jusqu'au haut lieu touristique Wat Po et de son gigantesque Bouddha couché. Par je ne sais quelle miracle, il n'y a pas un chat et nous profitons allègrement de cette chance.
Dimanche 21 septembre. Nous voilà sur le départ, remerciant nos hôte une dernière fois pour leur immense générosité (et je ne pèse pas mes mots). Emmanuelle et Étienne si vous lisez ces lignes, soyez en certains, nous vous accueillerons en Bretagne avec un énorme saladier de pousse-pied! 19H30, nous enfourchons nos bécanes pour quelques kilomètres, le temps de saluer une dernière fois Bangkok et de parvenir jusqu'à la gare ferroviaire. Et oui encore une fois, la gare, le train et tout et tout, mais avec ces petits soucis de santé nous avons pris pas mal de retard! Prochaine étape, Nakhon Sawan, à environs 200 km d'ici! On se voit là bas!
Jour 637 - Sur la route de Tak
Jeudi 25 septembre 2014 - 40 kms - Post n° 529
Barth : Nous sommes le lundi 22 septembre, il est trois heures du matin, une pluie fine détrempe la gare de Nakhon Sawan où nous venons d'être jetés à moitié endormis avec nos vélos. Je regrette un peu que nous n’ayons pas opté pour l'option couchette, les cinq heures de trajet sur une banquette aussi raide que minuscule furent éprouvantes, mais c'eut été prendre le risque de nous réveiller à Chiangmai une douzaine d'heures plus tard… Pas question de prendre la route de nuit, surtout avec la pluie, nous installons donc un bivouac de fortune au bout du quai histoire de pouvoir dormir quelques heures un peu à l'abri des moustiques… Il n'y a pas de doute, on a bien repris l'aventure !
Sept heures, ce n'est pas le premier bruit que j'entend mais cette fois la voix semble m'être adressée. Apparemment on gène… Le manque de sommeil rend le lever de camp difficile, mais dix kilomètres jusqu'au centre, un petit déjeuner et un café wifi pour étudier la carte, achèvent de nous réveiller.
On suit une petite route qui longe la rivière Ping, très calme et parsemée de quelques hameaux. Après ce long séjour à Bangkok on apprécie énormément le calme de la campagne, le chant des oiseaux et des grenouilles… Quelques pauses pour manger ou boire un peu, des sourires tout le long de la route mais toujours de grandes difficultés pour communiquer. En fin d'après-midi, la petite route se transforme en chemin, puis en piste au milieu des fourrés et nous débouchons tout à coup dans un temple empli de milliers de singes ! Un moine nous fait savoir que ce n'est pas possible de dormir ici, c'est sans doute mieux pour notre matériel avec cette armée de voleurs potentiels, on rattrape donc la route sous le crachin qui a repris.
Nous trouvons finalement notre bonheur dans un autre temple, sans singes cette fois ci, et un des moines nous indique un endroit pour installer nos moustiquaires, les douches et même une prise électrique ! Le coucher du soleil et l'arrivée en masse des moustiques nous poussent au lit à 18h30, sans trop forcer vu la fatigue..
Cinq heures du matin, une cloche me réveille en sursaut, suivie de deux heures de sono à fond la caisse à quelques mètres de notre bivouac. C'est le réveil des moines, pas vraiment traditionnel, et ça sert aussi à appeler le petit déjeuner dans la campagne alentour car de nombreux visiteurs viennent apporter à manger pendant que nous levons le camp, boules quiès dans les oreilles. Nous n'attendons pas de nous faire inviter, le vacarme est trop insupportable…
Quelques kilomètres dans un lever de soleil féerique, un pad-thai en guise de petit déjeuner et nous enchaînons… Il semblerait que ce soit un jour spécial pour les bouddhiste car tous les temples que nous croisons sont animés par des cérémonies. Cela pourrait expliquer le réveil en fanfare de e matin… L'un d'eux nous inspire un haïku, suivi d'une discussion limitée avec trois curieux dont un nous montre son lance-pierre sculpté et son couteau. La petite route n'est plus aussi linéaire, après quelques demi-tours et de nombreux chiens inhospitaliers nous décidons de regagner la grande route pour avancer un peu.. Malgré les nuages, il fait plus chaud que la veille mais les kilomètres défilent bien. À midi il fait trop chaud, nous nous arrêtons pour une sieste, et rencontrons Sukkhawit, un jeune d'une quinzaine d'années qui malgré un niveau d'anglais plus que sommaire tient à nous rendre service. Après nous avoir partager sa connexion wifi pour que nous remettions à jour notre itinéraire, il nous paye à manger sans nous laisser la possibilité de refuser..!
Vers quinze heures nous reprenons la route et nous faisons offrir un pad-thai et quelques bananes par une femme qui nous parle beaucoup sans que nous ne comprenions grand chose. Le temple que nous choisissons pour passer la nuit est lui aussi animé d'une cérémonie, nous avons un peu peur de déranger, mais le verre de coca, les fruits et gâteaux qu'on nous offre nous rassurent vite ! Nous sommes autorisés à passer la nuit sous un toit au milieu de la cour, le meilleur emplacement étant déjà occupé par la dépouille d'un arbre, sacré sans doute… Douche et installation du camp pendant que la nuit tombe, entourés d'une bande de gamins biens sympas mais qui ne causent pas un mot d'anglais. La nuit les fait déguerpir et au moment de se mettre au lit le vent forcit et des éclairs illuminent l'horizon. Les trois moines qui sont nos hôtes viennent alors nous voir et nous proposent de nous réfugier dans leur maison commune. Déménagement nocturne donc et tentative de bavardage avec nos hôtes… sans grand succès, leur niveau d'anglais leur permettant tout juste de nous faire savoir que « Thaïlande is good ! »…
Le rythme de la route est bien retrouvé maintenant, encore interrompu par quelques pauses administratives, particulièrement pour acheter nos billets d'avions en vue de notre séjour studieux à Kuala Lumpur fin novembre. Pour le reste, les petits restaurants aussi délicieux qu'omniprésents nous font dépasser les trois repas par jour ce qui nous permet d'enchaîner les kilomètres à une bonne allure malgré la chaleur. Plus nous avançons et plus le paysage se fait rural, les cultures variées sur de petites parcelles, les fermes en bois et les grand arbres qui nous offrent un peu d'ombre nous font un peu oublier nos kilomètres industriels en Indonésie et Malaisie ! Mais les temples se font rares, on décide de s'arrêter deux bonnes heures avant la nuit pour assurer le coup.. Un moine trônant dans une petite pièce surchargée de bibelots en tous genres dont quelques défenses d'éléphants qui encadrent son fauteuil, nous ouvre la porte du temple. Douche, électricité, 200 mètres carré de parquet, on en demandait pas tant ! On en profite pour bosser un peu sur le carnet de bord avant de dormir, en vue d'une synchronisation le lendemain, avant le cyber-vide de la Birmanie.
Il a plu toute la nuit, un gros orage d'abord suivi d'une pluie fine qui ne s'est pas arrêtée avec le lever du jour. La trentaine de kilomètres qui nous sépare de Tak, dernière étape urbaine avant la frontière, est assez vallonnée, annonçant la montagne qui nous attend pour bientôt. Les grenouilles et crapauds s'en donnent à cœur joie dans les marres avec le crachin qui ne s'arrête pas vraiment et on arrive un peu avant midi en ville. Le temps de déjeuner et nous trouvons une connexion wifi dans le hall d'un grand hôtel pour y synchroniser le site…
Geocyclab est donc enfin de retour sur la route, les kilomètres vont de nouveau s'accumuler au compteur et les haïkus reviennent également ! Dans quelques jours nous serons en Birmanie, où les connexions internet vont se faire rares.. Le carnet de bord sera mis à jour dès que possible mais ne vous inquiétez pas en cas de silence un peu plus long que d'habitude !
Jour 640 - Frontière birmane
Dimanche 28 septembre 2014 - 15 kms - Post n° 530
Fanch : Nous voilà à parcourir nos derniers kilomètres sur les routes thaïs, plus que 80 bornes et une chaîne de montagnes nous sépare de Mae Sot. Cette étape s'annonce difficile et une heure après avoir quitté les bonzes de Tak, l'inclinaison du bitume nous force à déchausser pour pousser nos bécanes toujours trop lourdes quand la pente est raide. Le temps est mitigé, les averses rendent l’asphalte glissant mais font chuter de quelques degrés le thermomètre qui malheureusement remonte aussitôt quand le soleil perce la couche nuageuse. Après 3 kilomètres et une heure à pousser nos montures sous la chaleur étouffante, il faut le dire, on en bave sérieusement. Plus loin, c'est un peu l'inconnu, mais d'après la carte il est possible que l’ascension se prolonge sur encore 30 kms et devant cette perspective nous sommes contraints d’abandonner et décidons de lever le pouce. La gentillesse des locaux font de notre entreprise d'auto-stop une réussite, et le troisième pick-up s’arrête en plein virage pour nous embarquer avec tout notre foutoir (dix sacoches en plus des deux vélos, ça devient vite le foutoir quand tout est démonté). Un moteur, même pourri, c'est parfois pratique quand ça grimpe dur et c'est assis à l'arrière du véhicule, à constater que cette montée n'en finit pas que nous nous félicitons d'avoir sorti le joker auto-stop.
Nous arrivons donc à Mae Sot avec un petit jour d'avance sur notre programme ce qui en soi n'est pas une mauvaise chose puisque nous ne sommes vraiment pas en avance. Apparemment, les distributeurs automatiques ne courent pas les rues de l'autre coté de la frontière alors notre premier objectif est de se renseigner sur le nom et la valeur de la monnaie birmane puis d'essayer de trouver du « change ». Kyat, ça vous dit quelque chose? 1 euros = 1000 kyats, on va avoir le sentiment d'être riches, cool. Enfin je dis ça mais pour le moment rien n'est gagné puisque il n'y a pas un kyat dans les banques de Mae Sot, preuve que la Birmanie n'a ouvert ses frontières (terrestres) aux étrangers que tout récemment. Il va donc nous falloir des dollars, mais il est 15h30 passées, les banques ferment plus tôt que les frontières et pour le coup, on a toujours que des bahts. Nous avons toute la journée de demain pour dégoter quelques billets verts puisque la route que nous emprunterons une fois en Birmanie est « one day, one way ». Aujourd'hui (vendredi) c'était dans le bon sens mais c'est à présent trop tard, demain c'est dans le sens Myanmar-Thaïlande, nous reprendrons donc la route dimanche.
Nous avons élu domicile aux abords d'un monastère dans le centre ville de Mae Sot. L'électricité et les sanitaires sont accessibles, et nous tendons les moustiquaires au son des « tchic tchic tchic » de la balle d'osier du sepak takro, une pratique rependue en Asie du sud-est qui consiste en quelque sorte à jouer au volley avec les pieds… Et c'est assez spectaculaire quand les joueurs ont de l’expérience. Alors que le soleil disparaît, nous rencontrons l'un de nos voisins de palier avec qui nous partageons notre repas. Il est birman et (sur)vit discrètement en Thaïlande depuis une vingtaine d'année, il travaille parfois sur le « market » (il semble d’ailleurs en être très fier) pour faire quelques sous et nous confie sans aucune gêne qu'il les dépense dans l'alcool. Son anglais approximatif nous empêche d'en savoir plus sur sa situation mais il n'est pas un cas isolé. Ils sont d’ailleurs quatre à dormir sous le préau, tous ont choisi de fuir la répression de la junte birmane mais leur intégration sociale n'a pas eu le succès escompté. Nous sommes à Mae Sot, une ville frontalière comme beaucoup d'autres à travers le monde, une ville de passage et de petits trafics, où les cultures se côtoient sur les marchés, une ville pleine de rêves mais aussi de déceptions et de désillusions. Nous apprendrons aussi par la suite que la Thaïlande compte plusieurs dizaines de milliers de réfugiés birmans.
Samedi 27 septembre, nous profitons de ce jour de « pause forcée » pour faire quelques courses, un bout de corde pour les hamacs, un adaptateur universel, un peu de pression dans mes pneus avec une pompe adéquat, on parvient enfin et non sans mal à trouver de quoi changer nos bahts en dollars, une bonne chose de faite! Nous profitons aussi d'une connexion internet pour préparer la suite du voyage en envoyant quelques mails. Rien de bien sorcier mais il nous faut toujours trouver un lieu pour poser notre matériel en Inde le temps d'aller bosser à Kuala Lumpur et réfléchir et discuter de ces histoires de visas. La question de la traversée du Pakistan se fait elle de plus en plus présente et nous commençons d'ors et déjà à glaner quelques informations sur l'évolution de la situation de ce pays qui fait peur. Nous rencontrons Philippe et David avec qui nous échangeons quelques mots. Ils travaillent tous deux sur un camp de réfugiés karens, l'ethnie majoritaire de la région, c'est l'occasion d'en apprendre un peu plus sur les politiques thaïs et birmanes. Nous découvrons en fin d'après midi que le poste frontière à été fermé ce matin, pour une durée indéterminée. Merde. Il y aurait apparemment eu de violents affrontements entre les rebelles karens et la junte militaire à Myawaddy, la première ville sur notre chemin, juste là de l'autre coté. La presse parlera d'une dizaine de morts et d'artillerie lourde, de quoi être un peu plus vigilants. Il semblerait que la frontière reste close demain, nous allons tout de même tenter le coup. Ce soir, nous montons le campement sous le même préau, notre ami à disparu mais nous rencontrons d'autres karens, alcoolisés pour les anciens et défoncés à la colle pour les plus jeunes. Chacun d'entre eux tente de nous faire croire que les autres sont fous, alors qu'ils ne sont tout simplement pas sous l'emprise de la même drogue. 9h30, tout le monde au lit, le courant est bien passé, rien à craindre pour notre matos.
Dimanche 28 septembre, bonne nouvelle, le post frontière est ouvert. Côté Thaïlande RAS, ce qui n'est pas particulièrement étonnant puisque nous quittons le pays. Côté Myanmar, tout se déroule sans accroc, mais forcément c'est un peu plus long. Les touristes étrangers ont un traitement de faveur en évitant la petite file d'attente, en revanche on nous indique poliment d'entrer dans un bureau pour y remplir un formulaire, d'attendre, d'aller dans le bureau voisin, pour un autre questionnaire, puis de revenir au premier, de patienter encore un peu avant de sourire à la webcam pour une photo souvenir qui restera dans les fichiers de l'immigration birmane. Le tout, dans la joie et la bonne humeur ! Avant de nous laisser partir on nous annonce qu'aujourd'hui, (probablement en raison de la fusillade d'hier), le « one way one day » privilégie le sens Myanmar-Thaïlande, ça veut dire que nous sommes bloqués pour une journée ici, dans la ville de Myamwaddy.
Changement d'ambiance. À commencer par le sens de conduite, on revient à droite, comme ça paf, d'un coup. Ça circule à coups de klaxon, roule à contre-sens et stationne un peu n'importe où, le tout dans un sympathique nuage de poussière. Le bitume couvre l'artère principale mais disparaît quand on s'engage dans les rues perpendiculaires. L'atmosphère générale de ce joyeux bazar fait resurgir quelques souvenirs d'Afrique mais j'ai aussi l'agréable sentiment que l'Inde n'est plus très loin.
Le sourire est apparemment quelque chose de spontané chez les habitant de cette région. Les mômes courent derrière nous en riant et les mains s'agitent pour saluer les étrangers. À chacun de nos arrêts, les vélos attirent une troupe de curieux, certains sont silencieux, dubitatifs, d'autres font leurs commentaires dans une nouvelle langue et c'est aussi pour beaucoup, l'occasion de sortir son smartphone pour immortaliser l'instant. Dans l'ensemble la communication passe mieux, il y a davantage d'anglophones et quand bien même la parole ne suffit pas, à Myamwaddy les locaux font l'effort d'essayer de nous comprendre. +1 donc pour notre premier contact avec la population, c'est prometteur.
Pour le reste, on sait aussi que nous venons de poser nos pneus dans un pays gouverné par une dictature répressive, c'est quelque chose de nouveau pour Geocyclab et il va falloir apprendre à s'adapter. La junte contrôle farouchement le pays. Juste là sous le pont, ce môme de 14 ans dont les mains repose sur un fusil porté en bandoulière donne le ton. Ça fait davantage d'effet de croiser son regard « pour de vrai » que de le voir en photo sur une page du Courrier International. Je sais aussi que notre présence va donner du fil à retordre aux autorités, car nous ne suivrons pas les circuits touristiques conventionnels et rien que pour cela, nous risquons de déranger et on s'attend à être surveillés en quasi permanence…